Huit ans après leur premier album, Miss Kittin & The Hacker remettent brillamment le couvert électro. Et laissent tomber la pose.

C’est Miss Kittin (Caroline Hervé) qui parle. « Avec le nouvel album, on avait envie de ralentir un peu les choses, de prendre le temps. Comme quand on prépare un bon petit plat. » Le camarade The Hacker (Michel Amato) se marre: « Ah ben voilà, il y avait longtemps qu’on n’avait plus parlé de bouffe! » C’est plutôt bon signe. Le duo électronique français a retrouvé l’appétit, après avoir frôlé de peu l’indigestion. C’était en 2001. Après quelques maxis, dont l’inaugural… Gratin dauphinois, le duo cartonnait avec Frank Sinatra, et l’album qui suivait. First faisait dans l’électro glacée et chic à la fois. Les rôles étaient parfaitement distribués: lui, taiseux et sombre, derrière les manettes; elle, en garce aguicheuse et blasée. « To be famous is so nice », glissait notamment la Grenobloise. Vraiment? The Hacker: « Les premiers live avaient leur charme. Mais physiquement et nerveusement, c’était épuisant. On jouait très souvent et on était complètement seuls, sans personne pour nous aider. Nous n’avions pas d’ingénieur du son, par exemple. Or, s’il y avait un problème lors des balances, avant le concert, j’étais incapable de le régler. On a fait Benicassim, qui est quand même un des plus gros festivals au monde, avec de la pop, du rock… On voyait les groupes débarquer avec toute leur équipe. Et nous, on arrivait juste à deux, avec nos synthés glissés dans un sac de l’armée. » Alors que les demandes continuent à affluer, le duo arrêtera donc les frais. Sans se perdre tout à fait de vue, chacun partira de son côté, bosser sur sa propre musique ou enchaîner les sets en tant que DJ. Mais là aussi, à un moment, la machine se grippe. Pour l’un comme pour l’autre, l’enchaînement de soirées passées dans des clubs bondés devient frustrant. Miss Kittin: « A un moment, il y a simplement eu l’envie de côtoyer des gens qui ont une vie normale, qui vont au cinéma, qui vont dîner chez des amis.. . En soirée, si l’on ne se défonce pas, qu’on ne va pas prendre un rail de coke avec l’organisateur, on est vite mis à part. Personnellement, c’est quelque chose que j’ai assez mal vécu ces dernières années. C’est aussi le sentiment d’étouffer dans un microcosme où tout est basé sur la prochaine soirée, le nouveau truc à sortir sur Beatport, le dernier remix de machin… Il y a une espèce de branlette intellectuelle sur des choses qui ont déjà disparu la semaine d’après. J’avais envie de m’ouvrir à autre chose. » Miss Kittin et The Hacker se retrouveront donc en 2007 pour lancer les premières bases d’un nouvel album. Huit ans – une éternité dans le monde de l’électronique – après First, l’exercice était hautement périlleux. Un vrai piège même. Comment le duo s’en est-il alors sorti? Le plus simplement du monde. Jusque dans son titre, Two a décidé de ne pas se compliquer la vie et d’être juste au plus près des préoccupations de ses auteurs. De leurs obsessions aussi. Comme celles de The Hacker, toujours pas tout à fait remis du choc des années 80, quand il se mangeait les maxis de Liaisons Dangereuses, Front 242 et tout ce que l’électronique crépusculaire pouvait engendrer de radicalement nouveau: techno, EBM, voire même new beat (au point de composer un titre hommage intitulé… Belgium, mais qui ne trouvera finalement pas sa place sur l’album). The Hacker: « Musicalement, je ne me retrouve plus trop dans ce qui se joue en ce moment. Aujourd’hui, il y a toute cette vague minimale. Du coup, à côté de Richie Hawtin ou Villalobos, qui sont des vrais artistes avec une vraie vision, on se tape tous ces DJ qui se contentent de télécharger leurs top 10. C’est complètement stérile! Alors qu’on parle d’une musique soi-disant libre, délirante, on se retrouve avec quelque chose d’hypercodé, fermé, très élitiste. »

Quête spirituelle

Sur Two, le duo combine ainsi des tranches de pop synthétique ( 1000 Dreams), techno ( Inutile Eternité), discoïde (le très « Moroderesque » Party In My Head), voire carrément eurodance (l’étonnante reprise de Suspicious Minds), tout en se permettant des sorties plus martiales ( Indulgence). La vraie gageure est d’avoir fait tenir ça en un bloc. En multipliant les clins d’£il certes, mais sans jouer en permanence sur le second degré. La posture cynique et détachée des débuts a ainsi été (heureusement) mise de côté. The Hacker: « Quand Caroline m’a fait écouter son album solo (NdlR: Batbox, sorti l’an dernier), j’ai été frappé par un morceau comme Grace , par exemple. Je trouvais qu’elle ne se cachait plus comme elle avait pu le faire avant, derrière des trucs un peu ironiques ou des jeux des mots. Elle allait droit au but, et cela donnait une vraie émotion. » Miss Kittin confirme: « A 30 ans, on ne dit pas les mêmes choses qu’à 20. Et heureusement. On est plus posé, on commence à comprendre un peu mieux quel est notre rôle sur Terre, et quels sont les moyens de s’améliorer, d’avancer. En tant qu’auteur, c’est aussi naturel pour moi de retranscrire cette sorte de quête spirituelle. Dans ce sens-là, nous essayons de faire autant que possible une pop music un peu plus profonde. Du coup, certains vont la trouver sombre. C’est sûr que se confronter à qui on est vraiment n’est jamais très agréable. Mais je ne crois pas que notre musique soit spécialement « dark », elle est juste introspective. »

Miss Kittin & The Hacker, Two, chez News.

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En concert, avec The Neon Judgement, le 28/04, à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles.

Rencontre Laurent Hoebrechts

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