Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

L’attrait du vide – Avec Careless Love, deuxième volet de son travail consacré à la vie d’Elvis Presley, Peter Guralnick clôt la biographie définitive du King.

De Peter Guralnick. Éditions Le Castor Astral. Traduit de l’anglais. 857 pages.Il fallait bien ça. En deux briques, totalisant quelque 1400 pages, Peter Guralnick a fourni la biographie ultime d’Elvis Presley. Encore que: épuise-t-on jamais totalement un mythe? Car c’est bien de cela qu’il s’agit, encore et toujours en 2009. Elvis Presley reste une icône culturelle parmi les plus importantes du XXe siècle. L’une des plus complexes aussi, qui a symbolisé tout et son contraire. Soit la rébellion de la jeunesse d’un côté; et de l’autre, le kitsch ultime siglé Las Vegas qui a accompagné sa chute. De multiples publications l’ont raconté, analysé, décortiqué. Qu’apporte donc de plus le travail de Guralnick? Le premier volume, Last train to Memphis, avait démontré la pertinence et la rigueur de sa méthode. Careless Love, qui vient de sortir, confirme le sérieux de sa démarche, lourdement documentée.

L’ennui

Ce deuxième volet reprend donc l’histoire exactement là où Last train to Memphis l’avait laissée. En 1958, l’idole Elvis a dû quitter son trône pour effectuer son service militaire en Allemagne. A partir de là, Guralnick va suivre méthodiquement le parcours de Presley, quasiment mois par mois. Au fil des pages, on assiste ainsi à la longue descente aux enfers du King. Très vite, les amphétamines font par exemple leur apparition. Elles sont utiles pour rouler jusqu’à Vegas, ou simplement tenir les nuits passées à jouer, ou à flirter à gauche et à droite avec l’une ou l’autre (très) jeune fille. Le matin, Presley enchaîne avec des somnifères, histoire de récupérer malgré tout pendant la journée. A partir de là, sa pharmacopée ne fera que s’étendre. Et puis, il y a Hollywood, à qui le Colonel Parker, son fameux manager, donne la priorité. Guralnick se retrousse les manches, et passe en revue les prestations d’acteur du King, n’hésitant pas à mettre la main dans le cambouis. Ou plutôt dans la mélasse, tant la filmographie de Presley peine à dépasser l’anecdotique. Il y a des sursauts: par exemple, lors du fameux show enregistré pour la NBC en 68, où Elvis retrouve toute sa superbe. Au bout d’un moment pourtant, il retombe dans ses travers. L’ennui surtout, pèse de plus en plus. Lourd et mortifère. Jerry Schilling, par exemple, ami et membre de la cour qui accompagne en permanence le King (et que Guralnick appelle les « gars »), explique: « Il y avait des périodes dans lesquelles il ne se passait rien. Là, tu tombais dans cet espèce de vide, t’avais le bourdon, tu te sentais mal dans ta peau. » Et de rapporter ensuite cette confidence d’Elvis: « Tu sais, un des trucs les plus importants, dans la vie, c’est d’être capable d’affronter les moments où tu n’as absolument rien à faire. » (p. 253). C’est ce combat qu’Elvis aura perdu. A qui la faute? « Il n’y a pas de méchants, ici », explique Guralnick. Aussi détaillé et pointilliste soit-il, son travail n’en oublie ainsi jamais la nécessaire empathie envers son sujet. Evitant aussi bien la complaisance que le jugement moral.

« Je ne connais pas de plus triste histoire », explique encore Guralnick en préambule. Au bout des 800 pages de Careless Love, on ne peut que lui donner raison.

Laurent Hoebrechts

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