LES TROIS PREMIERS ALBUMS DE LED ZEPPELIN, LUXUEUSEMENT RÉÉDITÉS, FRAPPENT PAR LEUR TENSION DRAMATIQUE ET UNE INDÉMODABLE VOLUPTÉ BLUES.

Jimmy Page, prenant en charge le vaste programme de réédition de Led Zeppelin, II et III, publiés entre janvier 1969 et… octobre 1970, apparaît avec le recul davantage que comme « simple »guitariste virtuose et producteur-leader du groupe anglais. La dimension apportée par cette tranche de musique brutalement lascive qui clôt les années 60 est celle d’un metteur en scène. Il y a un côté Scorsese, période Casino, dans la charpente des décors barnumesques et peut-être aussi une trame kubrickienne dans la chirurgie des cadrages. Sans oublier une touche d’heroic fantasy, de divagation british à la Tolkien, intégrée aux textes métaphoriques de Plant: faut d’ailleurs être briton pour s’enterrer dans une masure du Pays de Galles et composer des folks cosmiques qui noyauteront III, objet musical hybride qui va jusqu’à diviniser le banjo (Gallows Pole)… Réécouter cette musique, c’est aussi se laver de toutes les scories postérieures, celles d’un quatuor mégalo pétrolant sur l’autoroute impie des seventies. Drogues, groupies, entourage violent, staritude odieuse, montagnes de fric: le charabia usuel qui mène à la grandiloquence et, dans ce cas-ci, à la mort par surdose de vodka du batteur John Bonham en septembre 1980. Croisant au passage l’autre attrait de Page: celui pour l’occulte et son maestro Aleister Crowley, légiféré dans les sons bizarroïdes et fantomatiques de certains titres qui, là aussi, tranchent avec une simple relecture du blues à la lumière metal.

Led Zeppelin

Après d’innombrables sessions, y compris pour… Johnny Hallyday en 1967, Page hérite desYardbirdset, à l’été 1968, y embauche Plant, Bonham et Jones. Il faut une quinzaine de concerts sous le patronyme de New Yarbirdsavant que Led ne devienne officiellement Zeppelin le 9 novembre à la Roundhouse londonienne. Sur scène, les quatre jokers présentent un entre-deux mondes: reliefs pop sixties (Good Times Bad Times)via l’orgue Hammond du bassiste John Paul Jones épris de titres mouillés (Your Time Is Gonna Come)et réminiscences indiennes tissant un pont avec le folk matriciel (Black Mountain Side). La sensation ultime vient des bacchanales hard-blues: Dazed And Confused et Communication Breakdown en guise de premiers classiques gloutons. Sans oublier le gymkhana six cordes de Page qui brûle les calories jusqu’à l’étourdissement (How Many More Times).Mais encore? Plant en prima donna folle de sa propre testostérone -ces feulements…- sous menace constante des guitares pagiennes qui dirigent, pompent, cadrent et fusillent, la section basse/batterie dépassant les conventions rythmiques, justement. L’album est d’emblée un événement critique et commercial, aussi en Amérique, où l’on note, peut-être plus qu’en Europe, que deux des titres sont des remakes du bluesman US Willie Dixon (1915-1992). Le vrai bonus chic de cette réédition tient au second disque -qui comme l’original du box Super Deluxeest décliné en CD et vinyle- enregistré live à l’Olympia en octobre 1969, neuf mois après le premier album. Là, c’est carrément Mad Max au Mississippi en totale jouissance: on VOIT la cambrure de Plant quand il fait gicler le bazar. Le coffret, comme les deux autres Superdeluxe,contient un imposant livre de photos ainsi qu’un lien vers des versions haute définition des morceaux.

II

Toujours produit par Page, ce deuxième album -sorti le 22 octobre 1969- bénéficie des compétences de l’ingé son Eddie Kramer, fameux pour son travail avec Hendrix. D’où peut-être cette mise en abîme virile malgré les conditions dingues des sessions, bouclées entre quatre tournées européennes et trois périples américains… La bête a faim de cru et de grandiose et le disque lui en fournit, hymnes à stades et autres gros cubes carnivores: Whole Lotta Love, Heartbreaker et Moby Dick, orgueilleux et inutile solo de batterie de Bonham. Pourtant cette musicalité collective où l’on se surprend à suivre la brillance de la basse et celle de la guitare acoustique, plus le clavier d’église (formidable Thank You), résiste au temps, comme le thème sexuel abordé par Plant dans Lemon Song, catégorie de citron pressé qu’on ne vend pas chez Exki. Ecoulé à plus de douze millions d’exemplaires aux Etats-Unis seulement, cet archi-classique rock (Marc Ysaye, sors de cette pochette) a initié les futurs Aerosmith ou Guns N’ Roses sans que jamais ceux-ci n’atteignent le même jus originel. A néanmoins bien vieilli, à l’instar des deux autres albums d’ailleurs: sonorité fantastique, mix d’époque conservé.

III

Le disque suivant -paru le 5 octobre 1970- s’ouvre assez fameusement par Immigrant Song, qui sonne comme si Plant se coinçait la tuyauterie dans le zip (« ahahaaaaaaaa« )alors que le décibel règne, impérial et narquois. Si l’emphase intègre désormais l’ADN de la bande, cet album fera date par ses tentacules acoustiques: histoire de calmer l’hystérie d’une mammouth et triomphale tournée US, le groupe enregistre à Bron-Y-Aur, cottage du XVIIIe siècle au milieu du nulle part gallois. Le bled est privé d’électricité? Page et Plant se ruent sur la guitare bio et le cri primal, d’où ces génuflexions folk qui sonnent comme un tribut flambé à Bert Jansch (Tangerine, That’s The Way, Bron-Y-Aur Stomp).Ceci dit, une fois le 220 récupéré en studio, il génère le cheval de bravoure du III, ultime point G reliant Memphis à Londres: Since I’ve Been Loving You est unmagistral blues serré, où l’orgue gras vient servir la messe à Plant et Page, tous deux en syncope absolue, peut-être hypnotisés par cette gloire insensée qui leur tombe dessus. Un grand moment, comme on dit.

WARNER SORT LED ZEPPELIN, II ET III EN SIX FORMATS DIFFÉRENTS, DONT LE SUPER DELUXE EDITION BOX SET VENDU UN PEU PLUS DE 100 EUROS.

TEXTE Philippe Cornet

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