Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

CONTE À REBOURS – SEMIH KAPLANOGLU A TOURNÉ SA « TRILOGIE DE YUSUF » EN INVERSANT LA CHRONOLOGIE, ET EN CRÉANT UN UNIVERS POÉTIQUE AUX SPIRITUELLES BEAUTÉS.

AVEC NEJAT ISLER, SAADET AKSOY, UFUK BAYRAKTAR. (1) – AVEC MELIH SELCUK, BASAK KÖKLÜKAYA, RIZA AKIN. (2) – AVEC BORA ALTAS, ERDAL BESIKÇIOGLU, TÜLIN OZEN.(3)

DURÉE TOTALE: 5 H. DIST: LUMIÈRE.

La consécration de Honey ( Bal en v.o.) au Festival de Berlin 2010 a fait grimper d’un coup la notoriété de Semih Kaplanoglu. Mais si cet Ours d’or marque le premier point culminant de sa trajectoire, le cinéaste turc s’était déjà fait connaître des cinéphiles les plus pointus avec Egg ( Yumurta) et Milk ( Süt), les 2 volets précédents de ce qu’on peut aujourd’hui présenter comme « La trilogie de Yusuf ». Un coffret vient aujourd’hui restituer les 3 films dans toute leur beauté visuelle, et avec en supplément un long making of des plus intéressants. On y découvre la méthode de Kaplanoglu, un natif d’Izmir qui connut le succès à Istanbul en écrivant et en réalisant une série télévisée de 52 épisodes, avant de passer au grand écran au début des années 2000. Et d’entamer, en 2007 et après 2 premiers longs métrages, la trilogie qui lui fera gagner une reconnaissance internationale.

De manière aussi personnelle qu’intrigante, le cinéaste a tourné les 3 films en ordre inverse, à rebours de la chronologie. Yusuf, le personnage central, est d’abord montré à l’âge mûr dans Egg, en pleine jeunesse dans Milk, et enfant dans Honey. Une stratégie d’auteur qu’on sera bien inspiré de respecter en regardant la trilogie dans l’ordre du tournage et non pas en rétablissant la logique chronologique. L’intérêt résidant notamment dans les échos poétiques menant le spectateur vers quelques révélations, quelques émerveillements, plus riches dans ce sens-là que dans l’autre. Avec, aussi, le sentiment d’explorer une mémoire de plus en plus profondément, ce qui est une des fondations du cinéma de Kaplanoglu.

Mémoire sensible

Au début d’ Egg, Yusuf, bien engagé dans la trentaine, tient une bouquinerie à Istanbul, tout en poursuivant sa vocation de poète. Un appel téléphonique l’avertit du décès de sa mère, et il retourne dans sa région natale pour les obsèques. Il y rencontrera une jeune femme, Ayla, qui s’occupait de sa maman malade. Elle lui révélera qu’avant de mourir, la défunte a émis le souhait que son fils sacrifie un mouton… Dans Milk, Yusuf a une vingtaine d’années. Il essaie de faire publier ses poèmes dans des revues, tout en aidant sa mère dans la production et le commerce de lait qui les font vivre. Les circonstances l’amèneront à entrer brutalement dans l’âge adulte. Dans Honey, Yusuf a 6 ans, des difficultés à écrire, et un père travaillant dans la forêt, d’où un jour il ne reviendra plus…

Semih Kaplanoglu filme en longs plans savamment composés, à la manière de Theo Angelopoulos, ou d’un Andrei Tarkovski dont il assume clairement l’influence. Il fait percevoir, avec un sens poétique évident, l’invisible dans le visible, d’où les références à la spiritualité décelée par de nombreux critiques dans l’£uvre d’un cinéaste au style remarquable. On pourra penser que, dans un registre formel assez proche, mais sans échappées religieuses (au sens large du terme), l’£uvre d’un autre réalisateur turc, Nuri Bige Ceylan ( Uzak, Les Climats), est d’une plus grande force encore. Mais les beautés du travail de Kaplanoglu n’en font pas moins subtilement vibrer. l

LOUIS DANVERS

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