L’HÉROÏNE MASQUÉE DES YEUX SANS VISAGE DE FRANJU S’EST ÉPANOUIE À L’ABRI DES CONVENTIONS, SE RÉINVENTANT DEVANT LA CAMÉRA DE RAOUL RUIZ, OLIVIER ASSAYAS OU LEOS CARAX. LA CINEMATEK LUI CONSACRE UNE RÉTROSPECTIVE, QU’ELLE VIENDRA INTRODUIRE LE 20 OCTOBRE PROCHAIN.

Le regard d’Edith Scob hante l’imaginaire cinéphile depuis que Georges Franju lui confia, en 1959, le rôle de Christiane Génessier, l’héroïne des Yeux sans visage, dissimulant son visage défiguré derrière un masque. Une image forte, qui devait accompagner l’actrice pendant une carrière en forme de parcours atypique, où le théâtre expérimental côtoie une série télévisée; le cinéma d’auteur, les films populaires, avec en sus quelques éclipses. Le tout témoignant d’une appréciable liberté, déclinée sur la durée. « Quand j’ai commencé à être comédienne, je me suis dit que l’on me prenait parce que j’étais jolie, j’avais un visage assez pur. Je pensais que cela ne durerait pas plus de trois ou quatre ans. Je vois un réel grand privilège dans le fait de continuer à jouer, aujourd’hui, à mon âge, particulièrement maintenant, où le temps est plus compté et où l’on joue tout à fait sur autre chose… »

Edith Scob reçoit chez elle, à Paris, dans le 11e arrondissement, non loin de la Bastille. Le cadre est à son image, qui respire la sérénité; un havre de paix où c’est à peine si filtre la rumeur du monde extérieur. Et de retracer, la voix douce et le regard perçant, le fil(m) de sa vie. Si son histoire familiale charrie son lot de romanesque -son grand-père paternel était général dans l’armée blanche, en Russie, tandis que son grand-père maternel était pasteur dans la banlieue lilloise, ses parents se rencontrant sur un bateau à destination de l’Angleterre-, rien ne la prédestinait au métier d’actrice. « Je ne sais pas du tout d’où m’en est venue l’envie, même si enfant, bien que timide et un peu introvertie, j’adorais les récitations. Connaître un texte a toujours été un immense plaisir. » De fil en aiguille, la voilà qui se retrouve en cours de théâtre, et bientôt prête à surmonter sa « trouille » comme les réticences familiales. « Et puis, ça s’est fait, peut-être parce que j’étais un peu atypique comme jeune fille, cela m’a ouvert tout un créneau assez facilement, de par Franju. »

Drôle de répertoire

Georges Franju a déjà un riche passé de documentariste lorsqu’il lui propose « une figuration intelligente, une folle mystique qui chantait », dans son premier long métrage, La Tête contre les murs, adapté de Hervé Bazin. Edith Scob n’y débarque pas en territoire inconnu: « J’étais assez cinéphile, j’allais souvent à la Cinémathèque, et je connaissais ses courts métrages. J’avais une énorme admiration pour lui, et je me sentais assez proche de cette façon d’être dans la terreur et aussi dans quelque chose de très exalté. Quand il m’a ensuite appelée pour tenir le rôle de Christiane dans Les Yeux sans visage, ce fut une surprise formidable. Il tenait à ce que ce soit une inconnue. Et, c’est une partie du mystère de la vie, je devais correspondre à quelque chose ancré profondément dans son imaginaire. »

Sur le tournage, elle arrive quatre heures avant tout le monde pour se voir apposer son masque, ne pouvant ensuite ni parler, ni rire. « Cela m’a beaucoup aidée, parce que c’est forcément mon corps qui a dû pallier ce que je ne pouvais exprimer. » D’où une gestuelle funambule n’étant pas étrangère à l’impression étrange émanant d’un film appelé à devenir culte. Sa prestation y est à ce point marquante qu’elle en restera longtemps prisonnière. « On ne m’a proposé, après, que des rôles de victimes, ou tout à fait étranges, vampirisés. J’ai été un peu cataloguée dans un drôle de répertoire. » Ce qui, au fond, ne la contrarie qu’à moitié: « D’une façon ou d’une autre, je n’ai jamais été faite pour être une star », observe-t-elle. Différente. Ainsi, curieusement, ne travaille-t-elle jamais, ou alors si peu, avec les réalisateurs de la Nouvelle Vague, dont elle est pourtant la contemporaine –« Les gens ne savaient pas comment me distribuer. J’étais le contraire de Bernadette Lafont, qui représentait la femme émancipée, moderne, j’étais un truc plus compliqué. » Et si elle tourne un film avec Julien Duvivier et un autre avec Denys de la Patellière, elle ne goûte que modérément au cinéma français classique –« Le cinéma très institutionnalisé ne me convient pas tellement, parce que c’est fort hiérarchisé, je m’y sens un peu perdue ». Un sentiment qu’elle éprouvera à nouveau, des années plus tard, sur Le Pacte des loups, l’une de ses incursions en terrain commercial, au nom « qu’un acteur doit être un peu tout-terrain… »

Les voies de traverse ont, à l’évidence, sa préférence, qui mènent de Franju à Bunuel, pour La Voie lactée, ou, plus tard, Raoul Ruiz, de La Vocation suspendue à Ce jour-là. Et qui l’inciteront à créer, avec son mari, le compositeur Georges Aphergis, la troupe expérimentale de l’Atelier Théâtre et Musique. Jusqu’à tout récemment, où on la retrouve aux côtés de la plasticienne Hélène Delprat pour l’exposition Comment j’ai inventé Edith Scob, suite. Soit l’expression d’une curiosité qui a continué à s’épanouir à l’abri des conventions –« je pense qu’il faut bousculer »-, et scintille devant les caméras de Martine Doyen (Komma), Nicolas Klotz (La Question humaine), Olivier Assayas (L’Heure d’été) ou Gabriel Abrantes (Pan pleure pas). « C’est une chance formidable, à mon âge, d’être encore dans le désir de réalisateurs, mais je pense que c’est toujours Franju », sourit-elle, modeste. Leos Carax, qui en avait fait la conductrice de la limousine de Holy Motors (« si on a eu envie de faire du cinéma, c’est pour pouvoir tourner des films comme celui-là, ça donne du sens »),en a joué, lui demandant de remettre le masque, et brouillant ainsi images passée et présente de l’actrice, comme en suspension dans le temps…

RÉTROSPECTIVE EDITH SCOB, DU 20/10 AU 30/11 À LA CINEMATEK. LE 20/10, À 20 H 30, ENTRETIEN AVEC LA COMÉDIENNE EN PRÉLUDE À LA PROJECTION DES YEUX SANS VISAGE.

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Paris

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