Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Le label le plus prolifique en matière de disques de musique contemporaine propose sa collection de printemps.

Apparemment indifférents aux vicissitudes de la crise et aux atermoiements de l’industrie du disque, les Munichois d’ECM – foyer de Keith Jarrett et de Jan Garbarek – continuent à sortir généreusement des disques de genre divers, entre jazz et tentations contemporaines. En passant les frontières des styles comme celles des pays. Le piano n’a d’ailleurs pas de pays. Ainsi lorsque Vassilis Tsabropoulos ( The Promise ) – présumé grec…- se met au clavier, il en tire 55 minutes et 22 secondes de musique qui réfléchissent un monde intérieur, sans territoire géographique clairement défini, mais pas sans couleur. La musique, classique, évoque un Satie délaissant la conduite mécanique de ses Gymnopédies pour aller se balader à la plage. On retrouve aussi une gravité un peu lévitante, à l’instar des mélopées de la prestigieuse compagne de label qu’est Eleni Karaindrou. Une Grèce âpre, où Tsabropoulos évoque des paysages assoiffés par la chaleur indolente où passent quelques fantômes. Ceux du disque de Jon Hassel ( Last Night The Moon Came Dropping Its Clothes In The Street ) sont d’un genre plus traînant. L’instrumentiste américain fait parler son mix de trompette et de claviers dans un maelström filandreux, où la beauté finale est le résultat d’un travail en multicouches. Parfois aussi, la musique se simplifie ( Last Night The Moon Came) et s’épanche dans une continuité et une simplicité agréables à l’oreille. Hassell nous rassure davantage qu’il nous assaille. Il a travaillé à plusieurs reprises avec Brian Eno et c’est bien de cette famille-là dont il s’agit…

Les miracles ECM

Dans le voisinage encore, le disque du guitariste Marc Sinan ( Fasil ) qui raconte la vie d’Aïsha,  » le grand amour et la plus jeune femme du prophète Mahomet ». Cela se fait avec un minimum d’effets, de nombreux silences et les vocalises de la jeune Yelena Kuljic. Sinan, né en 1976 de parents allemand et turc arménien, supporte ses compositions avec une guitare aux accords mesurés, voire taiseux. Malgré tout, ce disque qu’on pourrait qualifier de minimalisme lyrique nous emporte. Vers où? Moins vers la religion que vers des promesses de mystère. Un album qui intrigue, tout comme l’opus de Gianluigi Troversi All’Opera ( Profumo di violetta ), à l’opposé sonore du précédent. Ici, la musique se balade dans le répertoire clinquant de Monteverdi, Puccini et autre Rossini. Une philharmonie d’une cinquantaine de musiciens fait exploser cette musique colorée, se laissant – comme nous – surprendre par les interventions de Troversi qui tord ses clarinette et saxophone avec des accès fiévreux dignes du plus sauvage des free-jazzmen. Et la combinaison fonctionne étonnamment bien. Il s’agit peut-être de l’un de ces fameux miracles ECM. La pochette du disque d’Andy Sheppard l’est presque, miraculeuse, avec ce couple chien/homme marchant sur une route éprouvée par la pluie. Movements In Colour () joue volontiers de cet anachronisme, le saxophoniste anglais reconnu jetant son jazz contre des remparts de guitares et d’électronique d’où émergent les tablas indiens du percussionniste Kuljit Bhamra. Le résultat, plus que probant, possède la qualité première des bonnes pioches ECM: il surprend, mais séduit.

ECM est distribué en Belgique par Universal, www.ecmrecords.com

Philippe Cornet

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