La culture n’est pas que le parent de plus en plus pauvre des budgets publics. Elle l’est aussi de la campagne électorale qui s’achève. A côté des pandas, de l’épouvantail N-VA, des avions en rase-motte sur Bruxelles, les artistes n’ont pas fait le poids. Après tout, comment s’en étonner? On ne parle que d’une poignée de fainéants qui utilisent l’argent de nos impôts pour amuser la galerie (au mieux) ou pour nous infliger des horreurs (au pire). Il faudrait en plus les plaindre alors que tout le monde sait bien que l’argent coule à flots dans ce milieu largement subventionné. Il suffit de voir les cachets versés à ces chanteurs dégénérés qui déferlent pendant l’été pour pervertir la jeunesse. Quant à ceux qui ne s’en sortent pas, ils n’avaient qu’à avoir un peu plus de talent. Ou mieux, ils n’avaient qu’à choisir un vrai métier. On aurait eu ainsi un peu moins de parasites…

En caricaturant à peine, voilà un petit échantillon de clichés qui ont la peau dure. Et expliquent, même si personne ne l’admettra en face, que la crise profonde que vit la filière ne trouve pas ou peu d’échos sur le ring politique. Il faut quelques coups d’éclat d’intermittents désespérés qu’on envoie à la casse pour que la colère remonte brièvement à la surface de la nappe médiatique. Pour le reste, c’est silence radio ou presque, hormis quelques grandes déclarations de principe pour la forme dans les programmes. Et ce alors que les associations professionnelles comme la SACD, les ténors comme Fabrice Du Welz ou David Murgia et les collectifs d’intérimaires du spectacle n’arrêtent pas de tirer la sonnette d’alarme, exigeant ici de « Sauver la culture » en Europe (les restrictions budgétaires frappent tous les pays), là de revoir d’urgence la réforme du statut d’artiste entrée en vigueur au début de l’année, là encore de purifier le système du tax shelter pour qu’il serve les intérêts de la création plutôt que ceux de sociétés expertes en plomberie fiscale. « On verra« , répondent la main sur le coeur les futurs ex-mandataires, manière polie de botter en touche, et de ne pas risquer de se prendre les pieds dans le tapis culturel. Le jeu n’en vaut pas la chandelle électorale. Même le fameux test électronique aux deux millions d’utilisateurs ne comporte qu’une question et demie sur le sujet (l’une très vague sur le financement de « projets culturels grand public« , l’autre, plus judiciaire que culturelle, sur le téléchargement illégal). Une et demie sur 90 si on compte les trois niveaux de pouvoir…

A la veille du scrutin, et même si ça revient à enfoncer un clou dans une éponge, il est bon de rappeler deux vérités qui devraient donner envie de courir dans le musée, la bibliothèque ou le cinéma les plus proches. La première, spécialement pour ceux qui ne jurent que par les chiffres, c’est que la culture n’est pas un poids mort économique. Comme le rappelait récemment un rapport officiel en France, la valeur ajoutée de cette industrie s’élève à 57,8 milliards d’euros dans l’Hexagone (pour 670 000 emplois), soit sept fois plus que le secteur automobile. Qui dit mieux?

Après l’hémisphère gauche, le droit. Enjeu financier, la culture est aussi et surtout un enjeu démocratique, humaniste, pacifique. Si on n’est plus totalement des sauvages, c’est en grande partie aux artistes qu’on le doit. Comme l’éducation, la création nous élève au-dessus du marigot des instincts. Les sages Dardenne en ont fait un sacerdoce. Leurs films, ils les assimilent à des outils d’éducation permanente. L’art est un vaccin contre les idées démagos, contre l’enfumage idéologique, et accessoirement contre la connerie. Et donc comme tout vaccin, rien d’anormal à ce qu’il soit en partie remboursé par l’Etat. Le dramaturge Jean-Marie Piemme résume la situation dans un joli texte. Extraits: « Imaginons un homme face à un mur. Que voit-il? Rien. Il se tient face au mur, il ne voit rien. Et une société qui néglige la culture, que voit-elle? Pas grand-chose. Elle fait face au mur. Elle mange, elle boit, elle dort, elle se reproduit, elle amasse, on y vit, on y meurt, et voilà tout. (…) La culture est un marchepied, une sorte d’échelle, un tremplin. Voilà, un tremplin! Avec elle, on peut se hisser, devenir plus grand que soi-même, voir mieux, voir plus loin, voir autre chose, voir au-delà du mur. » Pensez-y dimanche.

PAR Laurent Raphaël

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