Fleuron de la pop française, Phoenix sort son 4e album. En anglais dans le texte. L’occasion de décrypter l’anglicisation rampante de la scène hexagonale.

Le 23 février, deux mois avant la sortie de son quatrième album, Phoenix offrait l’un de ses nouveaux morceaux en téléchargement gratuit sur son site Internet. Bingo. 1901 était cette même semaine sacré titre le plus bloggé du monde. Ceci explique sans doute cela. Début avril, les Versaillais devenaient le premier groupe de pop/rock français reçu dans le talk show américain Saturday Night Live.

Thomas Mars et ses comparses n’ont pas eu droit à autant d’égards au début des années 2000 mais ils ont toujours rencontré plus de succès à l’étranger qu’en France où leur premier disque, United, n’avait atteint que la 90e place des charts malgré des singles de la trempe de Too Young et If I Ever Feel Better.

A l’époque, la pop et le rock français commençaient seulement à se décomplexer. « Une nouvelle génération arrivait, se souvient Laurent Brancowitz, guitariste de Phoenix. Une génération qui fonctionnait avec les mêmes règles que nous. Nous avons débarqué à un moment où les clivages restaient encore fortement marqués. Notre but a été dès le départ de casser les barrières. »

Entre le rock et l’électro. Entre la langue de Brassens et celle des Beatles. « Quand nous avons commencé à frapper aux portes des maisons de disques, on nous répondait clairement que ce n’était pas possible. Même pas envisageable. Que si nous voulions chanter en anglais, nous devrions signer en Belgique. Les firmes ne savaient pas comment faire. Avant Daft Punk, jamais un label de chez nous n’avait possédé un artiste français à potentiel international. A part peut-être les Gipsy Kings. »

Le duo électro casqué a en quelque sorte ouvert les portes de l’étranger aux Français qui chantent en anglais. « Pour être honnête, Phoenix en a bien profité, jouissant d’une nouvelle crédibilité à laquelle Air a aussi énormément contribué. Sans la musique électronique, nous n’aurions jamais eu l’occasion de nous exprimer. Notre particularité, c’était d’arriver avec un vrai groupe. Des instruments joués. »

Branco connaît bien Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem Christo, les deux lascars qui se cachent derrière Daft Punk. Vers l’âge de 16 ans, il jouait avec eux dans Darlin. Un projet à l’existence fugace. C’est à une critique de leur single publiée dans le Melody Maker et parlant de punk crétin (Daft Punk) que l’on doit d’ailleurs le nom du duo. « On a enregistré une démo de deux morceaux sur un petit magnéto et on l’a filé à Stereolab qui a sorti un petit 45 tours, rappelle Laurent Brancowitz . Nous avions déjà le Do it yourself dans les gènes. Et heureusement. C’est ce qui nous a permis d’exister. De toute façon, nous ne pouvions compter sur personne d’autre que nous-mêmes. »

émancipation

Phoenix, comme les groupes de sa génération et de celles qui ont suivi et vont leur succéder, doivent beaucoup à la démocratisation des techniques d’enregistrement. Sans la liberté et l’indépendance que le home recording leur a offerts, ils ne seraient probablement jamais sortis de l’ombre. Certains n’auraient peut-être même jamais sorti de disques.

 » Tout a changé quand nous avons été capables de faire de la musique chez nous avec de petits enregistreurs. Nous avons été parmi les premiers à disposer d’un studio à la maison et donc à créer de la musique dans notre coin. Pareil pour Daft Punk. Il s’agissait d’un moment crucial. Sans cette évolution, personne ne nous aurait jamais fait confiance. Personne ne nous aurait invités à entrer pour enregistrer. Aucune maison de disques n’aurait financé… Il a fallu qu’on puisse proposer un produit fini. Nous n’avons jamais vu venir de visionnaire qui se dise que tel ou tel groupe allait devenir énorme. Ce qui explique que la scène française est née, c’est l’accès au matériel. Nous avons enregistré notre premier vinyle nous-mêmes. C’est comme ça que Virgin nous a découverts. Nous avions déjà notre petit univers. Nous avions aussi une petite idée de comment mettre en boîte un disque. »

Si, en 2009, la langue n’est plus une barrière, du moins une barrière infranchissable, pour vendre des plaques (ou se faire télécharger), les années 70 et 80 ont véhiculé l’idée qu’il fallait chanter en anglais pour faire carrière à l’exportation. « En même temps, les groupes étrangers n’intéressaient pas les Anglo-Saxons, constate Gilles Verlant, animateur et journaliste musical belge installé depuis 25 ans en France. Pourquoi se seraient-ils emmerdés à écouter nos artistes alors qu’ils possédaient les leurs. Ils n’avaient pas besoin de Machiavel et d’Etienne Daho. Ils avaient Genesis et David Bowie… Si Francis Cabrel était venu de la côte Ouest des Etats-Unis, il serait l’un des plus grands compositeurs/interprètes de l’histoire. Les raisonnements impérialistes, colonisateurs, commençaient dans les maisons de disques américaines et britanniques. Achetez nos produits, nous ne mettrons pas la main à la poche pour les vôtres… »

Le niveau médiocre de nos voisins en anglais a de tout temps joué un rôle plus ou moins important dans la bagarre linguistique du disque. Elle n’est plus perdue d’avance. Consciente que l' »english » est devenu indispensable professionnellement parlant, la France introduit son apprentissage de plus en plus tôt à l’école. Elle est aussi, après l’Allemagne, le pays de l’Union européenne qui envoie le plus d’étudiants à l’étranger à travers les programmes Erasmus. Essentiellement dans des régions anglophones.

Reste un frein et il est de taille: les quotas de chanson française (40 % d’£uvres musicales parmi lesquels 20 % de nouveaux talents ou de nouvelles productions) imposés aux radios depuis 1996, et destinés à soutenir la production musicale francophone. « Considérant qu’il y avait trop de merdes sur Fun Radio, Skyrock et toutes ces stations devenues bien pires depuis, le législateur a exigé du français, explique Verlant. Il a de la sorte donné un gros coup de pouce à la scène rap. A MC Solaar et NTM… Il a aussi encouragé des tas de groupes comme Luke ou Aston Villa à chanter dans leur langue. »

Mondialisation

Les quotas ont évidemment influencé la politique des maisons de disques surtout disposées à sortir des artistes vendeurs et donc susceptibles de passer sur les ondes. Elles les ont dès lors poussés, et les encouragent encore, à chanter en français… Mieux vaut se battre contre Johnny Hallyday, Calogero et De Palmas, que contre Justin Timberlake, Kanye West et Depeche Mode…

Vu que l’industrie se casse la gueule et qu’en France le téléchargement illégal est devenu un sport national, l’anglais reprend cependant aujourd’hui du poil de la bête. En 2009, la manière la plus réaliste de rentabiliser un disque, c’est de le vendre un peu (notion toujours vague) mais dans le plus de pays possibles.  » Avec Internet, poursuit le critique rock, on réfléchit à autre chose qu’aux chiffres de vente. On pense au nombre d’écoutes sur MySpace et d’amis sur Facebook. De toute façon, les mentalités ont changé. Les oreilles se sont ouvertes. Peut-être pas chez les ploucs et les lecteurs du Sun mais en tout cas dans les milieux cultivés. L’internaute passe en un clic et moins d’une seconde d’un chanteur hollandais à un groupe norvégien. La question de l’origine et de la langue a beaucoup moins de sens. Ce sont les bons effets de la mondialisation. »

De nos jours, on ne demande plus (souvent) à l’incroyable Syd Matters pourquoi il ne chante pas en français. Camille s’est mise à la langue de Shakespeare. Et Sébastien Tellier s’exprime en anglais quand il représente la France à l’Eurovision… C’est aussi une histoire d’immigrés et d’expatriés. La chanteuse de The Do est franco-finlandaise. Les membres d’Herman Düne ont une mère suédoise et Simon Buret (Aaron) est le fils d’un Américain qui ne parle pas un mot de français. Pump up the volume… l

Texte Julien Broquet

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