UN JOURNALISTE S’EST AMUSÉ À TISSER DES PARALLÈLES ENTRE LA TRÈS BONNE SÉRIE THE AMERICANS, STAR DE LA RENTRÉE TÉLÉ CHEZ NOUS, ET LA RÉALITÉ DE L’ESPIONNAGE EN BELGIQUE. DÉCRYPTAGE.

Quelques gadgets soigneusement posés sur une table, comme une sorte d’expo miniature improvisée dans l’arrière-salle d’un petit resto bruxellois. Ces gadgets, témoignages authentiques de l’espionnage tel qu’il se pratiquait il y a quelques décennies, ont davantage l’air de sortir d’une base militaire est-allemande que des ateliers de Q, fournisseur officiel de James Bond. Mais cet appareil photo maintenu par une crosse d’arme à feu ou encore ce boulon creux réceptacle à messages confèrent tout de même à l’entreprise un côté vaguement glamour, pour ne pas dire exotique. Ce matin-là, pour théoriser la chose, le journaliste et essayiste Kristof Clerix, auteur de Spionage. Doelwit: Brussel (éds. Manteau, non traduit) se risque à un intéressant parallèle entre l’espionnage en Belgique et The Americans. La série est la grande gagnante de la rentrée en Belgique, puisque RTL TVI diffusera prochainement sa première saison, tandis que BeTV offrira à ses abonnés le deuxième volet des aventures de Philip et Elizabeth, deux espions du KGB infiltrés (ils vivent, en façade, comme toutes les bonnes familles américaines: deux enfants, un pavillon de banlieue et une douce routine) en plein sursaut de la Guerre Froide, dans l’Amérique de Ronald Reagan. Combinant avec pas mal d’aplomb faits réels (notamment l’attentat contre le Président) et fiction inspirée par l’affaire des dix agents dormants russes -un scandale qui avait pourtant éclaté en 2010, la série ayant été rapatriée début des années 80-, l’ancien agent de la CIA Joe Weisberg livre avec The Americans une série costaude, forcément complexe dans ses fils narratifs et fort bien jouée. Pas un chef-d’oeuvre, mais une vraie réussite. A ceci près qu’au rayon des bémols, d’aucuns ont régulièrement souligné le côté « over the top » et parfois peu crédible des situations qui, probablement un chouia trop souvent, obligent Philp et/ou son épouse à liquider des ennemis ou des gêneurs, à multiplier les missions spectaculaires, bref, à marcher sur les plates-bandes de 007.

Dead drops sur la E40

« Je pense qu’on a compilé en deux personnages toutes les caractéristiques réelles des espions et les tâches qu’ils peuvent accomplir. Mais en général, chacun d’eux a une spécialité« , commente Kristof Clerix. Dans la série, Philip et Elizabeth sont régulièrement amenés à sortir déguisements et postiches, à séduire pour soutirer des informations et donc, aussi, à tuer: des activités qui se révèlent d’autant plus périlleuses quand l’agent Beeman, membre des services de contre-espionnage du FBI, vient s’installer avec sa famille de l’autre côté de la rue. Même si la série s’inspire du bouquin An Ordinary Spy signé par Joe Weisberg lui-même, et des témoignages de l’agent russe Vassili Mitrokhine, il semblerait que l’espionnage se drape, dans la vraie vie, des habits un peu austères voire carrément ennuyeux de l’attente, de la patience, de l’acharnement. Les dizaines d’espions actifs à Bruxelles pendant la Guerre Froide pourraient vous le confirmer… Les cas de missions kamikazes ou d’exécution attribuées aux services secrets restent assez rares par ici. Cela étant, comme le raconte Kristof Clerix, la Stasi ou le KGB ne se privaient pas, à Bruxelles, de cibler les secrétaires de l’Otan en mal d’amour, en leur envoyant la grosse artillerie des lover boys collecteurs d’informations chaudes. Dans The Americans, Philip se sert de cet atout pour soutirer des informations à l’une des secrétaires du FBI, tandis que son épouse Elizabeth n’hésite jamais à s’offrir aux hommes pour les besoins de ses missions. Si l’on en croit le journaliste flamand, les techniques utilisées par les espions pour accéder aux informations qu’ils convoitent, résumées dans l’acronyme MICE, soit l’argent, l’idéologie, la compromission (une photo gênante par exemple) et l’ego, figurent autant dans la série que dans le quotidien de l’espionnage.

« Un jour, j’ai rencontré l’agent de liaison de la CIA à Bruxelles, dans une réception de la police fédérale. Je me rappelle qu’avant de le rencontrer, je m’étais promis de ne rien dévoiler sur moi. Sauf que quand il m’a demandé pourquoi je parlais aussi bien autant de langues, je me suis mis à lui raconter ma vie. Tout simplement parce qu’en une question ouverte, il m’avait flatté. Les espions fonctionnent comme ça aussi« , conte Kristof Clerix, rarement à court d’anecdotes sur le sujet: il est ainsi avéré que des « dead drops » (nom donné aux boîtes aux lettres utilisées pour échanger secrètement des informations) étaient utilisées un peu partout en Belgique par des espions du bloc de l’Est, notamment par les Tchécoslovaques qui utilisaient un parking de la E40 pour y laisser messages et instructions… Au final, quand vous regarderez The Americans, pensez que près de chez vous sommeille peut-être aussi un espion. Mais qu’il aura probablement plus le look d’un expert fiscaliste que d’un mannequin d’Abercrombie & Fitch. Et qu’il ne multipliera pas les cadavres dans les ruelles avoisinantes.

TEXTE Guy Verstraeten

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