ÉBLOUISSANTE DEVANT LA CAMÉRA DE LUCAS BELVAUX, EMILIE DEQUENNE EST LAVIE PLUS QU’ELLE NE LA JOUE. RARE, ET FASCINANT.

Quelle autre jeune actrice a su, par le passé, enchaîner deux interprétations majeures comme vient de le faire Emilie Dequenne avec A perdre la raison et Pas son genre? Ce qu’elle fait de lumineux chez Belvaux est aussi extraordinaire que ce qu’elle offrit de sombre à Joachim Lafosse. De l’ombre douloureuse, déchirante, mortifère, à la lumière, à la célébration de la vie, elle passe, fulgurante, et toujours aussi vraie. Celle que révéla, toute jeune (17 ans), le rôle de Rosetta pour les frères Dardenne, est devenue aujourd’hui une artiste épanouie, capable de tout jouer sans frilosité aucune, avec cette audace que seule autorise la combinaison du plus grand talent et du don de soi radical.

« J’ai lu le scénario, je l’ai refermé, et j’ai dit à mon mari: « Tu vois, on peut trouver des personnages aussi forts. » C’est fou! Comme une Murielle qui serait dans la lumière! » L’allusion au personnage d’A perdre la raison, le film de Joachim Lafosse, s’imposait, tant la Jennifer de Pas son genre est en effet comme son équivalent opposé, solaire. « Elle est la preuve qu’une fille jolie, bien dans sa peau, pleine de vie, optimiste, peut être autre chose qu’un pot de fleur, un élément décoratif au cinéma. On peut aussi avoir des rôles sublimes de femmes qui vont bien! Jennifer, c’est aussi fort que Murielle. Sauf qu’elle est de l’autre côté… » Consciente de ce nouveau cadeau, Dequenne s’est lancée à fond dans l’aventure du personnage et du film, confiante qu’elle était du répondant offert par Belvaux. « Lucas, il nous regarde, il nous regarde vraiment! C’est si important pour moi qui n’aspire qu’à une chose: donner au point de m’oublier, de ne plus être là, de laisser totalement la place à la personne que je joue, de faire qu’elle prenne vie, qu’on ne voie plus qu’elle. Je ne suis qu’un outil, je veux que mon metteur en scène me dirige vers ce point où je disparais, où il n’y a plus que Murielle ou Jennifer… »

À fond la forme

« Je ne suis absolument pas attachée à mon physique, poursuit l’actrice, seulement à celui de mes personnages, chacun d’entre eux justifie que je sois comme ci ou comme ça, que j’aie les cheveux de telle ou telle couleur. Ou que je sois plus ou moins jolie. Jennifer devait être belle. Il fallait donc que je m’occupe de moi. On ne peut pas être fraîche, rayonnante et en pleine forme en multipliant les dîners avec des potes, en se couchant à pas d’heure. Ma préparation, c’était ça: être en super forme, me mettre dans l’énergie de Jennifer. Et aussi m’adapter à son champ lexical qui est très différent du mien. Elle appelle son amoureux « chaton »! Jamais je ne dirais ça dans ma vie à moi… » L’autre manière d’entrer dans le film fut pour Emilie de « lire le scénario à voix haute, se mettre les mots dans la bouche, voir ce qui me parle, ce que cela me fait, avec l’inconscient qui déjà se met en marche, qui se met à fantasmer le personnage. C’est ma tambouille! Faire que les mots résonnent et voir ce que ça provoque en moi. Après, c’est la vision du réalisateur qui compte surtout. »

Dequenne partage avec son personnage le goût et le plaisir de chanter. « Je ne serai jamais chanteuse mais j’ai toujours chanté, explique-t-elle, depuis toute petite. Et à l’adolescence, j’écrivais même des chansons avec le piano de ma mère, je faisais des cassettes pour la famille… Une famille qui chante: ma tante et mon cousin sont de formidables chanteurs lyriques, en amateur. Ma fille aussi adore chanter, et mon mari chante des chants corses. A Noël, on a encore tous chanté en famille. »

Très vite, après lecture du scénario, l’actrice a demandé à son réalisateur quand commencerait le travail avec un coach. « Lucas ne voulait pas ça, sourit-elle rétrospectivement. Il m’a dit: « Tu sais, Jennifer elle est coiffeuse, alors tu n’as pas besoin de cours, si tu chantes juste c’est bien suffisant. » Alors j’ai travaillé de mon côté, en interprétant les chansons comme j’imaginais que le ferait Jennifer. Avec un grand sourire. Je souriais toujours en chantant. C’était formidable! » Ce sourire, aucun des spectateurs de Pas son genre ne pourra l’oublier. Et bien des émotions viendront s’y ajouter, fruit de la rencontre d’une actrice et d’un personnage tous deux en état de grâce.

RENCONTRE Louis Danvers

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