De glace et de sang

Après avoir tiré un trait unique entre jeu vidéo commercial et engagement politique sur This War of Mine, 11 bit studios baisse le thermostat sur Frostpunk.

Les feux de camp et les histoires que l’on raconte autour d’eux depuis l’aube de l’humanité ont élevé cette dernière(1). Proche de la cité éphémère en arcs de cercle du festival Burning Man, Frostpunk assiste, au contraire, au déclin de notre espèce. Ce jeu de gestion et de simulation politique regroupe les survivants d’un hiver apocalyptique autour d’un poêle à charbon titanesque mais fragile. Ne remontant jamais au-dessus de – 20 degrés, la météo de la nouvelle production des Polonais d’11 bit studios descend constamment comme une épée de Damoclès brûler le joueur. À froid.

En mixant gameplay solide et propos engagé, 11 bit studios marquait l’Histoire du gaming il y trois ans. Voler de la nourriture à des retraités aux abois ou laisser un proche affamé? Aider des enfants en détresse ou se soigner d’une blessure grave? Pensé comme des Sims en temps de guerre, leur This War of Mine démontrait que la violence ne baigne pas forcément dans le sang et les balles. Aujourd’hui, l’équipe originaire de Varsovie imagine le destin d’une poignée de réfugiés londoniens, échappés d’une révolution industrielle, figée dans un hiver permanent.

Planqué dans un cratère vaguement réconfortant, le joueur entame Frostpunk en cherchant simplement du charbon pour lancer une chaudière géante et réchauffer un premier groupe de survivants. Logements (précaires), maison de chasseurs, cantines, infirmeries, labo de recherche… La construction de bâtiments vitaux demande de prospecter du métal et du bois, disséminés aux alentours du foyer central. Simple. Basique.

Guerres froides

Parallèlement à une lutte permanente contre le refroidissement de la ville, la faim et la maladie, cette intro ne tarde toutefois pas à se complexifier. La quête des matériaux et le bon fonctionnement de chaque bâtisse exige en effet une répartition réfléchie des masses laborieuses disponibles. Dans un premier temps, on n’hésitera pas à envoyer des ingénieurs se salir les mains pour aider des ouvriers. Mais ce numéro d’équilibriste en ressources humaines se double vite de la question du travail infantile. Et, par-delà, de tout un écosystème de décisions politiques crapuleuses à prendre.

Injecter de la sciure de bois dans la nourriture pour gonfler les rations? Organiser le travail forcé 24 heures sur 24 pour palier une crise? Les solutions idéales n’existent pas. Loin d’être aussi engagés que This War of Mine, les mille et un mécanismes articulant la fascinante horlogerie suisse de Frostpunk se traversent en outre de promesses à remplir (ou non) pour contenir la grogne des administrés. Le jeu sort aussi de son trou pour explorer des zones à la recherche de survivants. Frostpunk évoque d’ailleurs plus tard l’immigration via des afflux de réfugiés. Avec au final un choix de société entre totalitarisme fasciste ou fondamentalisme religieux. Toute ressemblance avec des personnes ou des événements existants est purement fortuite…

Frostpunk

Édité et développé par 11 bit studios, âge: 16+, disponible sur PC et Mac.

9

(1) Lire à ce sujet l’excellente étude de Polly W. Wiessner sur les discussions de feux de camp entre tribus en Namibie et au Botswana, publiée en 2014 sur le site des Comptes rendus de l’Académie nationale des sciences des États-Unis (https://tinyurl.com/ycbew59w).

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