Si on avait sous la main une gomme magique, on effacerait bien quelques dates nauséabondes du calendrier. Le 1er septembre par exemple, jour de l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie en 39. Ou le 26 avril, témoin en 86 du coup de chaud d’un réacteur nucléaire dans la pampa ukrainienne. Ou encore, je vous le donne en mille, ou plutôt en 3000, le… 11 septembre. Inutile de préciser pourquoi, cette date est imprimée à l’encre indélébile sur le fronton de la mémoire collective. A croire que la machine à fabriquer des souvenirs est directement reliée à la rétine. Plus on s’en prend plein la vue, plus le clash laisse une empreinte profonde dans l’argile du temps. Pour éviter de se polluer la vie avec les effluves du passé, il faudrait presque inventer un calendrier bis où stocker tous les jours maudits de l’Histoire. On pourrait ainsi vivre sans ressentir ce picotement désagréable qui ronge le système nerveux à l’approche de cette date maudite. Et on ne parle pas de ceux qui prennent l’avion pour New York ce vendredi… De temps en temps, quand la coupe serait pleine, on pourrait purger cet almanach des mauvaises nouvelles comme on vide sa « poubelle » sur le « bureau » de son PC. Double clic et les événements seraient effacés de nos tablettes. Plus de guerres, plus de génocide, plus de haine dans le rétroviseur. L’air serait tout de suite plus respirable et l’avenir moins plombé. Problème: comment éviterions-nous alors de retomber dans les travers de nos aînés? Déjà que l’Histoire a la fâcheuse habitude de repasser les plats les plus indigestes. La mémoire est le thermomètre de nos errances. Et ce n’est pas en le cassant qu’on fait retomber la fièvre. Il y a une autre raison, artistique celle-là, de garder un oeil sur la chronologie des maux. De même qu’on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments, on ne fait pas de grands films, de grands livres, de grandes chansons avec des souvenirs parfumés à l’eau de rose. C’est souvent dans les caves humides et insalubres de la condition humaine que l’artiste récolte le plomb qu’il va transformer en or. Vilaine verrue sur le visage d’une génération, le 11 septembre ensemence ainsi de plus en plus l’imaginaire des écrivains (de Beigbeder à Marisha Pessl en passant par Jay McInerney), des chanteurs (Bruce Springsteen, Neil Young, Médine, Katerine…) ou des cinéastes (Michael Moore, Oliver Stone ou encore Paul Greengrass). Tous regardent le mal en face. Dans l’espoir de trouver enfin l’antidote. L’art comme vaccin… Belle idée, non?

par laurent raphaël

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content