Après avoir creusé sa propre histoire, Eels sort Hombre Lobo. Déguisé en lycanthrope, il a caché dans sa barbe 12 nouvelles pépites pop évidentes.

Il y a des parcours discographiques qui ressemblent plus à des psychanalyses que d’autres. Prenez le cas de Eels, vrai faux groupe derrière lequel se cache E, alias Mark Oliver Everett. Relations compliquées, drames personnels, disparitions brutales… En six albums studio, le bonhomme en a eu des fils à démêler, des angoisses à calmer. Certains en auraient profité pour semer leur chaos intérieur dans leur musique. Pas Everett, qui a toujours préféré les mélodies pop aux énervements bruitistes. La dernière fois, c’était en 2005, avec le double Blinking Lights and Other Revelations. Le voici de retour avec Hombre Lobo. Entre les deux, Everett en a profité pour fermer quelques portes. D’abord par le biais de deux premières compilations (Meet the Eels regroupant tous les singles de Eels; et Useless Trinkets, rempli de faces b et d’inédits). Mais également grâce à une autobiographie, Things the Grandchildren Should Know, et même un film: Parallel Worlds, Parallel Lives, un documentaire tourné pour la BBC sur les théories de physique quantique de son père, un scientifique renommé, et sur la relation qu’il a pu avoir (et surtout ne pas avoir) avec lui.  » C’est une pure coïncidence si tous ces travaux rétrospectifs sont arrivés en même temps. Pour le livre, par exemple, je me suis vraiment lancé là-dedans comme une expérimentation, juste pour voir ce que je pouvais faire de cette histoire. C’est vers la fin du travail d’écriture que je me suis dit qu’il y avait peut-être là quelque chose qui pourrait inspirer certaines personnes. Vous savez, c’est le projet le plus difficile que j’ai jamais réalisé. J’ai pensé naïvement que, comme cela dépendait uniquement de moi, ce serait simple. Mais c’était tout le contraire. Je ne dirais pas qu’écrire le bouquin a été gai à faire. Par contre, j’ai adoré le terminer. »

Everett n’a peut-être pas résolu toutes ses énigmes personnelles. Mais il a au moins remis de l’ordre dans certains placards. Ce qui lui permet de revenir avec Hombre Lobo, disque court au pouvoir d’attraction instantané, sous-titré 12 Songs of Desire. E a eu une explication très claire sur sa genèse. Très prosaïque aussi. « Je bossais sur d’autres musiques. Mais un matin, en me brossant les dents, j’ai vu ma barbe géante dans le miroir. Je me suis rendu compte qu’elle ne correspondait pas à la musique que je faisais à ce moment-là. Je m’apprêtais donc à la couper. Au dernier moment, je me suis dit: pourquoi pas ne pas en faire un album? » On fait remarquer que la barbe n’a peut-être jamais été aussi populaire dans le rock. E nuance, pince-sans-rire: « Tous ces mecs qui font de l’indie rock, ils ont des barbes de garçons. Moi j’ai une barbe d’homme. » Il l’a surtout longue et fournie, presque effrayante, et pas seulement pour les pogonophobes. « Oui, c’est vrai, il n’est pas rare de voir les gens changer de trottoir quand ils me voient arriver. »

L’attribut pileux a surtout servi à E pour intégrer la peau du Hombre Lobo du titre, un loup-garou en français dans le texte. « Rapidement après avoir décidé de faire un album qui corresponde à ma barbe, j’ai repensé à la dernière fois que j’en ai porté une. C’était en 2001, quand on faisait le disque Souljacker. La première chanson du disque, Dog Faced Boy , était déjà inspirée par la barbe. Je me suis demandé après toutes ces années, ce qu’était devenu ce Dog Faced Boy: il était probablement devenu un loup-garou. J’ai commencé à réfléchir à ça, à ce que ressemblait sa vie, ses désirs… » Créature mi-animale, mi-humaine, Hombre Lobo ne tranche donc pas entre électricité sauvage ( Prizefighter, TremendousDynamite, FreshBlood…) et confessions tire-larmes ( That Look You Give That Guy, The Longing, Ordinary Man…), et c’est très bien comme ça. Surtout, le costume du lycanthrope permet à E de faire un pas de côté, après tout son récent boulot autobiographique. Comme s’il était fatigué de lui-même. « Oui, enfin! » (rires).

Eels, Hombre Lobo (, chez Vagrant.

Entretien Laurent Hoebrechts

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