Autour de l’incapacité à aimer, le réalisateur signe, avec Persécution, un drame à la résonance personnelle.
Un cinéaste en revient-il toujours à des « variations sur un même t’aime »? S’agissant de Patrice Chéreau, la question mérite d’être posée, son nouveau film, Persécution, éveillant des échos de Intimacy, qu’il tournait à Londres il y aura bientôt 10 ans. « Je ne sais pas pourquoi, mais j’essaye toujours non de raconter la même histoire, mais de me rendre dans la même zone, de creuser le même sujet, à savoir pourquoi est-il si difficile de vivre avec quelqu’un? », approuve-t-il, alors qu’on le rencontre à la Mostra de Venise. « La question est de savoir comment vivre une relation dans la durée et dans le temps, mais aussi comment faire face au fait qu’une relation part dans beaucoup de directions différentes – bonne un jour, atroce le lendemain, meilleure ensuite – afin de la maintenir en vie. »
Ce questionnement sur la difficulté voire l’incapacité à aimer, il accompagne à l’écran le mouvement malaisé de trois personnages. Soit Daniel, un homme solitaire, laissant se déliter sa relation avec Sonia qui n’en peut bientôt plus; ce, tandis qu’un inconnu s’introduit violemment dans sa vie pour lui déclarer son amour. Un étrange ballet mis en scène sur un mode tendu et aiguisé, comme en écho aux propres incertitudes de Chéreau. « Au départ, je me suis interrogé sur ce que pouvait être une mauvaise façon d’aimer, cela en me référant à mes propres mécanismes et à mon comportement, me demandant pourquoi je suis toujours à ce point dans l’erreur, à la fois extrême et exigeant », observe-t-il. Mise à nu à laquelle il ajoutera, pour assembler l’ossature du film, une mésaventure empruntée à son histoire personnelle: « Un homme s’est un jour introduit dans mon appartement, que j’ai retrouvé sens dessus-dessous. J’ai cru avoir eu affaire à des voleurs, mais j’ai découvert sur mon lit, quelques jours plus tard, une lettre où il m’invitait à le rejoindre dans la pièce à l’arrière. La peur au ventre, je me suis rendu dans cette chambre, où j’ai trouvé un jeune homme nu et complètement soul, qui s’est jeté dans mes bras pour me dire que je lui avais manqué. »
Mémoire vive
Un épisode singulier, pour le moins, dans lequel le réalisateur décèle l’expression « de l’amour inconditionnel, le seul problème étant qu’il ne m’avait jamais demandé la permission. L’amour inconditionnel est toujours dangereux. »
Balançant entre ces 2 pôles, le film établit aussi une curieuse radiographie intime d’un homme passant de persécuté à persécuteur, entreprise dans laquelle le réalisateur a reçu le précieux concours de Romain Duris. « Quand j’ai vu De battre mon c£ur s’est arrêté, j’ai su que c’était un acteur pour moi. Lorsque je l’ai rencontré, en janvier 2008, je lui ai dit le peu que je savais alors du film. J’ai voulu l’impliquer dans le processus d’écriture, et il m’a été d’une aide précieuse, tout en m’insufflant beaucoup de confiance. » Cette complicité se traduit limpidement à l’écran où, pour apparaître imbuvable à divers égards, son personnage n’en est pas moins le nerf d’un film dont il est virtuellement de chaque plan. « Persécution est le portrait d’un personnage central, comme je n’en avais plus réalisé depuis L’homme blessé . Tous les fragments du film s’articulent autour de Daniel, qui m’exaspère, me fascine et m’attendrit, parce que je crois que je le connais bien », conclut Chéreau. Soit la matière vive d’un film dont émane une douloureuse et désarmante vérité.
Rencontre Jean-François Pluijgers, à Venise
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