DANS LE FILET AMÉRICAIN

Dalton Telegramme

LES BELGES DALTON TELEGRAMME ET ALASKA GOLD RUSH INTÈGRENT UNE VIVIFIANTE DOSE DE FOLK-COUNTRY US DANS LEURS CHANSONS: L’ADOPTION FONCTIONNE.

Les précédents chez nous s’appellent William Dunker, en wallon dans le texte, ou Marc Lelangue, amateur de mississipperies francophiles. Mais ces deux-là pêchent plutôt en eaux blues. « Et puis, ils ne sont pas de notre génération, on avait besoin de s’inscrire davantage dans une école de gens de notre âge, la trentaine. » Quentin Maquet, chanteur-guitariste, amène la majorité des chansons de Dalton Telegramme, Liégeois qui chatouillent la country dans la langue de Tatayet, sur un premier douze titres aux cavalcades accrocheuses, Sous la fourrure, plus typique de Nashville que de la place Saint-Lambert. « À l’hiver 2011, on a eu l’opportunité d’aller jouer au Coup de coeur francophone de Montréal. On y a découvert des gens comme Lisa LeBlanc ou Bernard Adamus, qui font super bien de la musique roots, mais en français. D’une certaine façon, cela légitimait notre goût pour la country ou le bluegrass et le postulat de départ de chanter dans notre langue puis d’aller piocher dans l’instrumentarium américain. En pensant aussi que le mot chanson est porteur de liberté, puisqu’il qualifie à la fois Dutronc et Maître Gims (sourire). »

Même qu’Évidemment sonne cowboy sans bouse de vache aucune avec ses rappels du terroir: « Le prince rêve quand Liège, HYSTERIQUE/Oublie le temps de match à haut niveau/La crasse, le crack et le crache des hauts-fourneaux. » Quentin situe: « J’écris en permanence et je vais faire un morceau de tout ce qui me frappe dans la vie. Les hauts-fourneaux, je les vois au moins deux fois par semaine, quand je vais au Standard… » Être local tout en visant l’universel, vieille membrane musicale qui questionne la place des mots hors de l’anglais international. Où il est aussi question de belgitude, épice second degré qui valse volontiers chez Dalton Telegramme. À commencer par ce nom, hommage aux fameux frères minables de l’Ouest et puis, de manière moins directe, à l’Overseas Telegram de Gainsbourg période reggae. Ce dernier style est d’ailleurs l’un des emprunts de Dalton Telegramme pour faire mariner son gumbo aux côtés des idiomes américains. L’autre point commun avec l’outre-Atlantique est la morale décomplexée et entrepreneuriale du quatuor, qui a compris que la bourlingue hors-francophonie belge s’imposait naturellement à une éventuelle carrière. D’où la bonne surprise d’avoir décroché au printemps le Prix Rapsat-Lelièvre dans l’optique de supporter une tournée québécoise à l’automne. Alors, le batteur Olivier Cox, seul statut d’artiste du groupe, et ses trois collègues profs ou animateurs de musique, Quentin, Rémi Rotsaert (guitares, banjo, mandoline) et Bernard Thoorens (contrebasse), risquent bien de quitter certaines expériences belges restrictives. Comme celle qui consiste à se produire devant une seule personne à la cafétéria de la piscine de Manage. Ou de celle d’Estaimpuis, ils ne se rappellent plus.

Renaud Ledru, 30 ans, est lui de Gembloux mais relocalisé à Bruxelles où il croise fin 2012 le natif Alexandre De Bueger, de trois ans son cadet, ayant fait partie d’Alaska Alaska (sic). Déjà l’infini des promesses américaines. Ce printemps, le duo baptisé Alaska Gold Rush propose un premier album –Wild Jalopy of the Mist- poussé par le tonus rock indie mais plutôt sous baxter folk-country-blues. Buddy Holly version Tennessee version Bruxelles 2016. En langue anglaise. La fusion chant-guitares de Renaud et batterie d’Alexandre reste globalement dépouillée pour un retour à la matrice du désir musical. « On est moins dans cette mode du power duo -à la Black Keys ou Black Box Revelation- que dans l’impression de remplir suffisamment notre musique en étant deux. Je n’hésite pas à aller sur les notes basses de la guitare et Alexandre va aussi partir dans ces sons sur la batterie. Rajouter une troisième personne changerait toute notre dynamique. »

Renaud, celui qui a une tête de plus que l’autre, est diplômé en anglais-espagnol de l’UCL, rayon littérature et histoire. C’est lui qui amène les chansons avant de les reconstruire en compagnie d’Alexandre. La réussite du disque actuel, outre le coup de rein mélodique (Big Cities)et le solvant équilibriste des partenaires, tient aussi à la rêverie consciente de la narration. Renaud: « Ma troisième grand-mère, celle qui n’est pas officielle (sourire), a toujours écouté Johnny Cash et Hank Williams et a longtemps entretenu une correspondance avec les Américains venus en Belgique en 1944. Il y a dans la famille quelque chose de viscéralement lié à cela, sans pour autant idéaliser quoi que ce soit de l’Amérique. » Renaud peut être restrictif -« je n’aime plus Elvis après 1956″- mais la découverte des États-Unis via plusieurs voyages y compris dans le Sud mythique, Alabama, Louisiane, a de toute évidence épaissi ses intentions européennes. « Les textes blues, folk ou country me touchent parce qu’ils ont cette qualité cinématographique dans leur description maniaque du paysage, de la route, des lieux. Cela nourrit par exemple notre titre Montgomery, parti de la phrase d’Hank Williams: « Je ne sortirai jamais vivant de ce monde. » »Sur la pochette de l’album, c’est le papy d’Alexandre qui pointe son fusil, rejoignant le phalanstère du livret, une compile des candid pictures des familles Ledru et De Bueger. Rappelant qu’Alaska Gold Rush doit pas mal à la science infuse des rythmes du moins bavard Alexandre. Et de ses goûts avérés pour le math-rock, le post-rock, intégrant d’autres molécules dans une combinaison chimique des plus sensitives.

DALTON TELEGRAMME, SOUS LA FOURRURE, DISTRIBUTION FREAKSVILLE.

7

ALASKA GOLD RUSH, WILD JALOPY OF THE MIST, DISTRIBUTION FREAKSVILLE.

7

TEXTE ET PHOTOS Philippe Cornet

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