Dans la grande violence de la joie

Laisser battre son propre pouls dans un tout premier recueil de nouvelles? Tâche ardue s’il en est! Face à cette gageure, l’Américaine Chanelle Benz a préféré l’éclectisme de dix mondes à la fois denses et clos plutôt que d’assurer ses arrières avec une cohésion de forme ou d’époque. Dès À l’ouest du connu, éveillés par le claquement d’éperons d’un âpre western où frère et soeur tracent leur sillon hors-la-loi, nous voilà intrigués par ces microcosmes où sourd une tension immémoriale (qui n’est pas sans rappeler le puissant Les Bonnes Gens de son compatriote Laird Hunt). Au-delà de leurs ancrages différents, les personnages de ces dix textes, ultra-tangibles, exsudent tous le doute. Leur consistance tient notamment de leur position marginale (femmes, enfants, esclaves) et de leur perméabilité aux signes avant-coureurs de désastres. Qu’il soit libre ou encerclé par les circonstances, chacun des personnages semble osciller de part et d’autre des coups portés, avec la vengeance ou les stigmates pour lot quotidien. Renaissance confronte ainsi l’archéologue Lee Bib à de troubles strates de mémoire à l’endroit-même où une tempête de sable a jadis englouti une communauté autarcique, quand, dans un désert à mille lieues, Natalia (La Fille du diplomate) se souvient du prix à payer quand on adopte mille visages. Érudite (en témoignent la langue du « seizième siècle » adoptée dans une nouvelle, ou ailleurs ses jeux sur les faux manuscrits retrouvés), Benz impressionne aussi par sa façon d’aborder le deuil et la spiritualité. Lecteurs comme protagonistes,  » Nous sommes heureux, nous avons peur, et nous ne sommes pas sauvés. »

De Chanelle Benz, éditions du Seuil, traduit de l’anglais (États-Unis) par Bernard Hoepffner, 256 pages.

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