André Dussollier habite l’univers d’Alain Resnais depuis 25 ans et 7 films. C’est dire s’il connaît la chanson d’un cinéaste qui n’a pas fini de nous surprendre…
‘était en 1983, et Sabine Azéma comme André Dussollier s’invitaient chez Alain Resnais à la faveur de La vie est un roman. 25 ans plus tard, la famille a évolué mais ces deux-là en font toujours partie. S’agissant de Dussollier, il en est, avec Les Herbes folles (critique dans Focus du 30 octobre) à son septième film avec le réalisateur d’ On connaît la chanson – compte tenu, bien entendu, de sa participation à Pas sur la bouche, qui se limitait à la bande-annonce où il ne pouvait que constater, vaguement irrité, ne pas figurer au générique du long métrage. Un clin d’£il savoureux, et l’expression d’une exquise fantaisie – celle qui prévaut encore à ce nouvel opus. L’acteur y campe un individu poursuivant de ses assiduités inconstantes une femme (Sabine Azéma) dont il a retrouvé le portefeuille. Si l’on ajoute que le bonhomme a de nombreux fantômes et qu’elle s’appelle Madame Muir, on aura compris que l’on est moins, ici, dans un schéma dramatique conventionnel, que dans une aventure placée sous le règne d’un imaginaire singulièrement débridé. Ne restait plus qu’à demander à ce fidèle de Resnais de nous en livrer certaines clés…
Vous voilà fantôme de Madame Muir…
Fantôme, ce n’est pas faux, ces personnages vivent tellement dans l’imaginaire. Vous faites allusion à Mankiewicz, et c’est juste. Mais ce n’est pas Resnais qui a choisi le nom de Muir, il était déjà dans le roman de Christian Gailly qu’il a adapté. Gailly est un cinéphile, je pense, et ce n’est sans doute pas un hasard qu’elle s’appelle Muir. C’est un éclairage du personnage. Il y a toujours chez Resnais une espèce de voyage, d’adaptation difficile, de décalage entre l’imaginaire et la réalité. Et c’est le cas aussi avec ces deux personnages qui sont épris d’absolu tout en étant mystérieux.
Ne peut-on considérer également qu’ils se placent de leur plein gré en retrait du monde?
Oui. Ils sont pris entre l’imaginaire et le réel, et c’est quelque chose de constant, que ce soit dans C£urs, On connaît la chanson ou La Vie est un roman. Et dans Mélo, et ce mariage avec l’art, comme si toute la sensibilité et la personnalité de quelqu’un pouvait se réaliser dans l’art beaucoup plus librement que dans la réalité. Les Herbes folles veut bien dire ce que cela veut dire, sur ces petites herbes qui poussent dans des endroits inattendus, au milieu du ciment, mais qui poussent malgré tout. Un peu comme les sentiments irrationnels qui sont en nous et qu’on laisse échapper; ils ont le droit d’existence, et Resnais aime bien les voir grandir, pousser, s’exprimer. Et puis, ça flotte au vent, ces herbes, mais on sent qu’après, dans le réel, ces êtres-là ont du mal à se situer.
L’univers de Resnais oscille entre cérébral et ludique. Comment procède-t-il?
C’est cérébral, disons que c’est préparé, construit, comme un échafaudage. On répète pas mal, on discute beaucoup, et quand on arrive sur le tournage, la moitié du travail, au moins, est bien aboutie. Souvent, on a pensé que le cinéma était l’art de l’instant, et qu’il ne fallait pas répéter pour ne pas créer d’ornières. Resnais aime le théâtre, et nous aussi, et nous savons qu’au théâtre, au contraire, la répétition nous permet peut-être d’approfondir. Le tout, que l’on soit en scène un soir ou devant la caméra, c’est d’être libre au moment d’interpréter.
Les Herbes folles est votre septième film en commun. Comment s’est construite cette connivence.
Cette explication n’engage que moi, mais je pense que Resnais a toujours été original dans le choix des auteurs. Que ce soit Marguerite Duras pour Hiroshima mon amour, David Mercer pour Providence ou Alain Robbe-Grillet pour L’année dernière à Marienbad, il est allé chercher des auteurs qui n’écrivaient pas pour le cinéma. C’était donc un long travail, et une longue attente. Je pense être arrivé à une époque où l’envie de tourner était devenue chez lui une urgence. Il est allé vers des choses dont les auteurs avaient déjà écrit le livret, où la pièce était là. L’enchaînement du travail s’est fait un peu plus rapidement autour des acteurs que nous sommes, et qui aimons bien nous métamorphoser et jouer des rôles différents dans des univers différents, ce qu’il nous proposait. On est peut-être un peu plus en famille, on prépare les choses en amont, ce ne sont pas forcément les critères habituels du cinéma.
Cette perspective vous avait-elle effleuré au moment de La Vie est un roman?
Pas du tout. La Vie est un roman, c’était pour moi l’occasion de ne pas le rater. Je l’avais raté sur Stavisky: je jouais au théâtre et n’avais pu répondre à sa proposition, j’avais dû renoncer tristement. Comme il avait pensé à moi à nouveau, j’ai saisi l’occasion, même s’il s’amuse à dire que c’est un rôle de borborygmes, plutôt que de dialogues et de phrases construites. Mais c’était une occasion de rencontre.
Après tant de temps, où réside l’espace pour la surprise?
Cela vient de la nature même de Resnais, qui est très éclectique dans les choix de ses sujets. Et qui, de tout temps, que ce soit avec Roger Pierre dans Mon oncle d’Amérique, ou avec Ruggero Raimondi dans La Vie est un roman, a toujours été à l’affût d’acteurs qui n’étaient pas forcément attendus dans un tel rôle. Il est toujours original dans ses choix. Non seulement, on ne sait pas ce qu’il va raconter, ni comment, ni ce qu’il va nous proposer de jouer. Moi, je suis heureux, parce que c’est la vocation même du comédien, de se balader d’un rôle à l’autre. Avec lui, on est servis: il nous propose des partitions très opposées, très différentes, et il y a un vrai défi. On est en famille, confiants, mais il faut se surprendre, toujours…
Rencontre Jean-François Pluijgers, à Paris.
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