BOUALEM SANSAL SE FAIT CASSANDRE DANS CETTE FABLE ORWÉLIENNE OÙ BIG BROTHER A CÉDÉ LA PLACE À UNE DICTATURE ISLAMISTE. À BON ENTENDEUR…

2084, la fin du monde

DE BOUALEM SANSAL, ÉDITIONS GALLIMARD, 274 PAGES.

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Il y a d’abord ce titre qui fait directement référence au 1984 de Georges Orwell. Un choix hautement symbolique qui affirme d’emblée l’intention de l’auteur: nous donner des nouvelles du futur. Pas celui lointain et débridé des récits de science-fiction, mais bien un futur proche, suffisamment en tout cas pour y déceler l’écho assourdissant du présent. Car cette fable politique, même si elle pousse sans doute le bouchon romanesque un peu loin, se veut réaliste dans les grandes lignes. Un peu pour nous effrayer, beaucoup pour nous amener à réagir s’il n’est pas trop tard.

En termes de noirceur, ce 2084 n’a en effet rien à envier à la dystopie de son modèle original. Boualem Sansal y dépeint un monde ténébreux et totalitaire dans lequel les hommes sont soumis corps et âme au dieu Yölah et à son « délégué sur Terre« , Abi. Un appareil répressif bien huilé, épaulé de sentinelles de la foi invisibles, les V, dispensant un prêchi-prêcha évangélique se chargeant de museler les pensées. Ce qui ne va pas empêcher un homme ordinaire, Ati, de commencer à se poser des questions à la faveur d’un séjour dans un sanatorium perché en haut d’une montagne. Le début d’une révolte à l’issue incertaine.

Derrière les masques, il n’est pas difficile de reconnaître le visage grimaçant et les méthodes expéditives d’un islam ultraradical qui aurait triomphé à l’échelle planétaire. Si l’auteur choisit de renommer les ayatollahs, ce n’est pas par pudeur ou par crainte des représailles, mais pour montrer que cette théocratie absolue n’a plus grand-chose à voir avec l’islam « classique ».

Lanceur d’alerte

Cette question brûlante de l’expansionnisme religieux travaille décidément les écrivains. Houellebecq s’y frottait déjà en janvier dernier en imaginant l’élection en France d’un président musulman. L’écrivain algérien, menacé régulièrement depuis L’Enfant fou de l’arbre creux (2000), va plus loin. Ici, les Lumières se sont définitivement éteintes, les hommes vivent dans la terreur. La « Soumission », pour reprendre le titre de Houellebecq, est totale. Un sentiment encore renforcé par la disparition de toute trace de technologie dans cet Abistan qui ressemble au Moyen Âge. Les descriptions grandioses de cette prison à ciel ouvert rappellent d’ailleurs les paysages majestueux et effrayants de Tolkien dans LeSeigneur des anneaux. Même si c’est à Hermann Hesse qu’on pense le plus souvent pour l’armature rhétorique humaniste qui sous-tend cette fresque au didactisme un peu trop appuyé. C’est la seule critique qu’on adressera à ce roman taillé dans la roche saillante de l’Histoire.

L’énorme succès qu’il rencontre en France (pressenti pour le Goncourt avant d’être écarté, il a déjà remporté le Grand Prix du roman de l’Académie française) doit beaucoup au courage de ce lettré qui dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas. La démarche de cet ancien ingénieur de haut vol dont la vie a été saccagée par les islamistes, et qui affronte ici seul ou presque l’hydre de l’obscurantisme qui nous pend au nez, force l’admiration. Quand bien même il ne laisse aucune place, ou si peu, à l’espoir d’un sursaut de Nations assoupies sur leurs lauriers. Que quelqu’un qui a épousé la raison s’en fasse le premier défenseur ajoute encore à la charge symbolique. « On croit que les sociétés sont solides, déplorait-il dans Le Monde, mais pas du tout: au moindre choc, tout part en éclats. Je l’ai vu. En face de l’islamisme, les valeurs de la raison s’effondrent comme un château de cartes.  »

On n’a pas réussi à faire mentir Georges Orwell, la prophétie Big Brother s’étant largement réalisée. Sansal nous offre une seconde chance. Ne la laissons pas passer…

LAURENT RAPHAËL

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