Conte d’été

Vivès renoue avec la comédie dans un récit rohmérien abordant la naissance du désir et le désarroi de l’adolescence. Âmes sensibles ne pas s’abstenir!

Une soeur

De Bastien Vivès, éditions Casterman, 216 pages.

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Même si chez Bastien Vivès, le feu des émotions couve toujours sous l’action la plus débridée, ses dernières productions ont plutôt privilégié la baston, les mondes imaginaires et la liberté formelle et narrative des jeux vidéo, singulièrement dans sa série rétrofantastique Lastman mais aussi dans sa fructueuse collaboration avec le duo Ruppert et Mulot (La Grande Odalisque et Olympia, mettant en scène un trio espiègle et intrépide de cambrioleuses acrobates). S’il a montré dans ces registres de genre un évident talent, ce n’est pas sans un pincement de coeur que l’on retrouve aujourd’hui le Vivès des sentiments « ordinaires », ceux qui se glissent dans les anfractuosités d’une histoire sans effets spéciaux, renouant en cela avec la veine ultra sensible de Polina, le chef-d’oeuvre de fragilité qu’il a semé en 2011.

Se lovant dans l’univers à fleur de peau et de sensualité d’un Rohmer, le toujours jeune auteur -il n’a que 33 ans- nous installe aux premières loges dans le théâtre des émois amoureux de l’adolescence. Antoine a treize ans, un petit frère Titi fan de Pokémon et de pêche aux crabes, et comme chaque année, il s’apprête à passer tout l’été en Bretagne dans la maison de vacances familiale. Sauf qu’à peine installés, une intruse débarque qui va bouleverser le cours tranquille des événements, et à jamais l’existence d’Antoine en qui il n’est pas difficile de reconnaître l’alter ego de Vivès, avec lequel il partage notamment des prédispositions pour le dessin.

Attraction universelle

L’invitée surprise, c’est Hélène, la gamine d’une amie des parents qui a fait une fausse couche et vient chercher un peu de réconfort sur la côte, et une distraction pour son ado. Il ne faut pas longtemps pour que le charme frondeur de la jeune fille de seize ans chatouille la libido naissante du petit Parisien. Au fil des jours et des plaisirs auxquels Hélène initie Antoine, comme celui de l’ivresse, une relation particulière va se tisser entre eux, mélange de tendresse, d’amitié et de séduction de moins en moins platonique. Avec l’économie de moyens qui caractérise son trait hautement suggestif, jusqu’à effacer les expressions faciales, Vivès parvient à capter l’écume du désir dans les gestes se déployant au creux des instants suspendus au bord de la jouissance et de l’interdit. Ainsi quand les deux ados se retrouvent ensemble sous la douche et qu’Hélène demande à Antoine de lui laver les cheveux. L’enchaînement des cases silencieuses rythmées par le massage capillaire suinte le désir, fouetté par la question soudaine d’Hélène: « T’as déjà embrassé une fille? » Une phrase anodine qui, posée au sommet du trouble, allume tous les lampadaires du boulevard des fantasmes.

Ce roman d’apprentissage, s’il arpente des sentiers balisés, touche par sa grâce et sa finesse, l’auteur du Goût du chlore pressant avec délicatesse le fruit de l’éveil à la sexualité. Flirtant avec l’érotisme, Une soeur est une ode aux sens et à la liberté. Tous les puceaux devraient croiser une Hélène pour les initier en douceur aux plaisirs de la chair. En retour, il lui offre son innocence, cette île à l’abri des remous et des désillusions de l’âge ingrat. « T’as pas l’impression, parfois, dans la vie… d’être tout seul?« , lui demande-t-elle dans un moment d’abattement. Pour la consoler, il lui propose une glace… Le passage de l’enfance à l’adolescence est cruel: ce qu’on gagne d’un côté, on le perd de l’autre. D’où ce nuage de mélancolie qui baigne un récit cheminant entre deux rives.

Laurent Raphaël

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