Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

RESTREINTE MAIS CONDENSÉE, LA NOUVELLE EXPOSITION DE LA FONDATION A INVITE À CONSIDÉRER L’oeUVRE DU PHOTOGRAPHE WALKER EVANS SOUS UN JOUR NOUVEAU.

Anonymous

WALKER EVANS, FONDATION A, 304 AVENUE VAN VOLXEM, À 1190 BRUXELLES. JUSQU’AU 03/04.

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C’est un accrochage rare et de grande qualité que présente la Fondation A. L’exposition Anonymous a été coproduite en partenariat avec Les Rencontres d’Arles où elle a d’ailleurs été montrée lors de la dernière édition. Sa force? Permettre d’entrevoir une dimension méconnue du travail de Walker Evans (1903-1975), signature américaine majeure de l’histoire de la photographie. Attention, ici, rien de spectaculaire, pas de grands formats ni d’images de « celebrities », un genre que ce natif du Missouri exécrait, lui qui était fasciné par les vies minuscules. En lieu et place, un focus intimiste sur son travail imprimé, tout particulièrement celui qu’il a réalisé pour des magazines tels que Fortune ou Harper’s Bazaar. C’est toute une profession de foi esthétique qui se déploie à travers ces images modestes et géniales. Ainsi de la série Labor Anonymous réalisée à Detroit en 1946. 37 des 150 images qu’Evans a shootées, au Rolleiflex 6×6, en un après-midi, sont à voir de manière totalement inédite. La démarche est magnifique, absolument dénuée d’artifices: les passants sont photographiés sans qu’ils le sachent, derrière eux un fond neutre qui rappelle le studio. Loin d’être anodines, ces images portent en elles un commentaire critique sur la société américaine et ses valeurs. Une note jamais publiée d’Evans disait: « Un carrefour urbain vous en apprendra autant que votre journal. Un fait qu’il ne se contentera pas de vous dire, mais imprimera fortement en vous: tout le monde travaille. » C’est que l’Américain vénère la culture populaire et ses working class heroes sans nom, lui dont le regard a été structuré par les cartes postales qu’il collectionnait depuis son enfance.

Précurseur

Labour Anonymous renvoie à une suite d’images antérieure, présentée ici à la faveur de quelques clichés, qui ne sera pourtant publiée que 25 ans plus tard sous l’intitulé Many Are Called. Il s’agit de portraits pris dans le métro new-yorkais. Evans y esquisse un idéal photographique dans lequel « la garde est baissée et le masque tombé », précisant que « dans le métro, le visage des gens se présente à nu, au repos ». Pour Jean-Paul Deridder, commissaire de l’exposition, quelque chose de profond se joue là, « la thématique de la foule anonyme, celle dans laquelle un individu en remplace un autre, est l’expression tout entière d’une époque au sortir de la Première Guerre mondiale, celle d’une chair à canon disponible et sans visage qu’incarnent à merveille les monuments dédiés aux soldats inconnus ». A l’opposé d’un Alfred Stieglitz conscient d’élever la photographie au rang d’oeuvre d’art, Walker Evans se plaît à lui faire arpenter le territoire des marges indistinctes. Ce n’est jamais aussi vrai que dans Color Accident, également présenté à la Fondation A sous forme de pages de magazines agrandies et directement apposées au mur. Cette série new-yorkaise de 1958 se penche de manière avant-gardiste sur des harmonies visuelles urbaines oubliées du regard. Celles que l’on doit au temps qui passe, à la négligence, mais aussi à « la main agile de la jeunesse délinquante ». Rien de moins que le graffiti avant la lettre.

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MICHEL VERLINDEN

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