Si on ne peut toujours pas mettre les villes à la campagne comme en rêvait le poète Alphonse Allais, rien n’empêche de les transformer, de les embellir, de les oxygéner ou de les fantasmer. Même s’ils n’ont pas d’actions chez Bouygues ou chez Blaton, les artistes participent au renouveau des paysages urbains. Directement quand ils jouent les abeilles en disséminant leur pollen artistique dans des quartiers moribonds à loyers très modérés. C’est ce qu’on appelle la gentrification. Une forme de greffe naturelle qui redonne vie aux tissus urbains nécrosés. Comme on le lira dans notre dossier en béton armé ( voir page 14), New York, Berlin, Paris, Londres ou Bruxelles suivent ce traitement homéopathique de longue date. Avec des résultats étonnants au goût parfois amer. Ainsi, quand les artistes ont redonné vie aux parcelles exsangues, il n’est pas rare de voir une faune branchée venir taper l’incruste, provoquant l’embrasement des loyers qui font fuir… les pollinisateurs. Le dialogue avec les pôles magnétiques peut aussi être plus feutré, plus abstrait. En particulier quand les écrivains, dessinateurs, cinéastes, plasticiens, musiciens -n’est-ce pas Jay-Z?- usinent sur le tour de leur imaginaire les contours de cités radieuses ou… dévoreuses d’hommes. L’artiste n’est plus alors cet insecte vagabond mais un arbre enraciné dans le bitume dont les visions fugaces et esthétiques se dispersent au gré des vents dominants. Avec un peu de chance, le regard sur une rue, un pâté de maisons, un ghetto, un suburb, voire une métropole toute entière en sera profondément modifié. C’est que la ville fascine. Et démange les esprits vifs. John Dos Passos avec Manhattan Transfer hier, Antoine Fuqua avec Brooklyn’s Finest aujourd’hui ( lire page 22). Les adjectifs qui lui collent au trottoir -tentaculaire, oppressante, majestueuse…- sont autant de signes d’une relation viscérale à cette nouvelle Babylone. Dont on n’a pas fini d’entendre parler. D’abord parce que le flot des citadins ne tarit pas -il s’accélère même en Asie et en Afrique, accouchant de villes mondes (13 millions d’habitants à Tokyo, 22 millions d’ici quelques années à Bombay!)-, ensuite parce que personne n’a encore trouvé la bonne combustion pour éviter que la marmite ne déborde, ne se lézarde, ne craque. Plusieurs expositions à Bruxelles et Paris ( GEO-Graphics au Bozar avec des fragments d’Afrique urbaine, Dreamlands au Centre Pompidou avec un étalage de monuments factices plus réels qu’il n’y paraît, Cities à la galerie Champaka à Bruxelles avec les dessins en trompe-l’£il de François Avril, et Archi & BD à la Cité de l’architecture et du patrimoine avec une exploration des rapports entre la fourmilière humaine et sa représentation en 2D, de Winsor McCay à François Schuiten en passant par Bilal ou Moebius) illustrent cette urgence de se frotter sans cesse à la ville, d’en prendre le pouls, de la projeter dans l’avenir. Si pas pour la dompter, du moins pour en rendre la morsure plus supportable… l

Par Laurent Raphaël

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