SANS LUI, PAS DE PIXIES, NI DE NIRVANA. A 53 ANS, BOB MOULD CONTINUEDE DOUCHER SES MÉLODIES SOUS DES GUITARES RAGEUSES. EXEMPLE AVEC SON NOUVEAU BEAUTY & RUIN.

Après trois quarts d’heure d’une discussion franche et cordiale, Bob Mould s’oblige quand même encore à préciser. « Les gens ne réalisent pas que j’ai un vrai sens de l’humour. Je suis même un gars plutôt marrant (rires). J’ai un bon sens du timing, je ne traverse pas trop souvent la barrière du mauvais goût… On me dépeint souvent comme quelqu’un de sombre, toujours en colère. Et je l’ai été, c’est vrai. La musique a pu capter ça. Mais je ne pense pas que ce soit encore l’endroit où je me trouve aujourd’hui. En fait, c’est pas mal de changer, de grandir, de vouloir être heureux. » A 53 ans, Bob Mould (Malone, New York) semble en effet avoir trouvé une certaine paix intérieure. Cela n’a pas toujours été le cas, loin de là. En 1982, il sortait un premier album avec son groupe Hüsker Dü. Enregistré live pour 350 dollars, Land Speed Record filait à toute berzingue: en 26 minutes, il enchaînait 17 titres. Sous perfusion punk -et clairement bourré aux amphèts que le groupe gobait comme des bonbons, histoire de tenir le coup jusqu’au prochain rade-, Hüsker Dü jouait vite et fort. La musique comme élan vital. « Gamin, j’étais souvent casé chez ma grand-mère. Elle devait se rendre régulièrement chez une femme tétraplégique dont elle s’occupait. La dame avait un piano sur lequel je jouais. J’écoutais les morceaux qui passaient à la radio, et j’essayais de suivre. Mais ce n’est qu’à 16 ans que j’ai acheté une guitare. Puis j’ai entendu le premier album des Ramones. Et là, ma vie a changé. Une révélation: moi aussi, je peux faire ça. Dans tous les cas c’était mieux que d’essayer de sonner comme Fleetwood Mac ou Aerosmith (rires).  »

Hüsker Dü partait donc au front, cherchant le KO à chaque concert. Petit à petit, la fureur hardcore des Américains va cependant s’appuyer davantage sur les mélodies, distillant l’idée que le bruit n’exclut pas la chanson. De cette mini-révolution, Hüsker Dü ne récoltera pas forcément tous les fruits. D’autres s’en chargeront. « Je ne me plains pas. Tout est question de chance et de moment. Cela fonctionne par cycles. Cela n’est pas simple à expliquer, mais c’est comme ça que cela se passe: les idées sont là, elles flottent. Ce sont des sons, des histoires que vous partagez, qui percolent de l’un à l’autre. » L’Histoire du rock ressemble parfois à une suite d’enchaînements limpides: sans Hüsker Dü, pas de Pixies, et sans Pixies, pas de Nirvana -Bob Mould a été un temps pressenti pour produire Nevermind

Une bonne boussole

Aujourd’hui, le temps s’est comme compressé. En avril dernier, la presse rock marquait les 20 ans de la disparition de Kurt Cobain, leader suicidé de Nirvana. Dans la foulée, les Pixies sortaient Indie Cindy, premier album depuis 1991, qui pour quelques fulgurances bien senties contient autant de boursouflures. De son côté, Mould publie, lui, Beauty & Ruin. Un 11e disque solo qui, à l’exemple du titre Nemeses Are Laughing, renvoie volontiers à Sugar, autre projet post-Hüsker Dü, qui lui vaudra au début des nineties son plus gros succès commercial: l’album Copper Blue en 92.

En 36 minutes (et douze titres), Beauty & Ruin va à l’essentiel, Mould fracassant à nouveau régulièrement son songwriting contre un mur de guitares. La formule est connue. Elle n’en reste pas moins incarnée. « Ecrire une chanson reste un processus très mystérieux. C’est comme avoir le toit qui perce et espérer avoir une bassine assez large pour récupérer toute l’eau. Après, il n’est pas question de vérité -c’est quoi d’abord la vérité? Par contre, il s’agit bien d’une conviction. Je crois dans les morceaux que je compose. Ils ne pourraient pas davantage me ressembler. »

Il y a deux ans, Copper Blue était réédité et suivi d’une tournée commémorative. Un an auparavant, Bob Mould avait également eu droit à un concert-hommage, rejoint notamment sur scène par Spoon, Ryan Adams ou… Dave Grohl (la soirée est l’objet d’un documentaire, See A Little Light). Toujours en 2011, le héros indie publiait son autobiographie. En quelques années, Mould a ainsi pu goûter à une nouvelle reconnaissance, tourner certaines pages et faire la paix avec quelques-uns de ses démons. Comme la question de son homosexualité, qui dès ses cinq ans n’a plus fait aucun doute pour lui, mais qu’il a longtemps dissimulée, jusqu’au début des années 90. « Aujourd’hui, j’ai l’impression de savoir plus ou moins où aller. Je n’ai pas de carte claire, je ne planifie pas grand-chose. Mais j’ai des idées et, je crois, une bonne boussole.  »

La sérénité n’empêche évidemment pas la vie de vous filer encore de temps en temps une bonne baffe. « Beauty & Ruin déroule un fil clair: il s’agit d’évoquer la perte, comment y réfléchir, l’accepter, et envisager à nouveau un futur. » En clair, l’an dernier, Bob Mould a perdu son père, avec qui la relation n’a pas toujours été simple, devine-t-on. « J’ai arrêté de boire à 25 ans. Pourquoi? Mon père était alcoolique. Un jour, je me suis regardé dans le miroir et j’ai vu ce qui allait se passer. Ce n’était pas réjouissant. » Il est tentant de faire un lien avec la pochette de Beauty & Ruin: côte à côte, deux photos de Bob Mould, l’une actuelle, l’autre où il est âgé de 18 ans. Est-ce la même personne? « Disons que celui de droite en sait un peu plus. Après, je ne pourrais pas vous dire qui est la Beauté et qui est la Ruine… (sourires) »

BOB MOULD, BEAUTY & RUIN, DISTRIBUÉ PAR MERGE RECORDS.

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RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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