Cap de nuit
DEPUIS LONDRES, LE BINÔME YUSSEF KAMAAL JOINT SA VOIX À LA NOUVELLE GÉNÉRATION DE MUSICIENS JAZZ, DÉTERMINÉS À CREUSER UN GROOVE RÉNOVÉ ET AVENTUREUX.
Yussef Kamaal
« Black Focus »
DISTRIBUÉ PAR BROWNSWOOD.
8
On a beaucoup glosé ces dernières années sur le « retour du jazz ». A raison. Non pas qu’il avait disparu de la circulation: même au nadir de sa popularité, le jazz a continué de livrer de grands disques, et n’a jamais cessé de produire des frissons musicaux. Le genre semblait cependant parfois coincé dans ses vieux réflexes, incapable de vraiment s’inscrire dans son époque ou de simplement la raconter.
Dernièrement, il a su cependant retrouver une voix dans la « conversation ». Il n’est pas question de parler de revival ou de nouvelle révolution musicale. Mais en étant investi par une nouvelle génération plus ouverte aux autres genres, moins soumise à certains diktats traditionnels, le jazz a reconquis une certaine pertinence.
Jusqu’ici, le mouvement est surtout venu des Etats-Unis. Qu’il soit l’oeuvre de musiciens comme Kamasi Washington ou Thundercat, ou qu’il ait percolé dans les idiomes électroniques de Flying Lotus ou dans le rap de Kendrick Lamar. Petit à petit, la nouvelle donne a cependant fait tache d’huile. On pense par exemple aux Canadiens de BadBadNotGood, ou aux Belges de STUFF., pour n’en citer que deux. Avec le projet Yussef Kamaal, ce sont désormais les Britanniques qui intègrent le terrain de jeu. Un espace libre, aux limites mouvantes, poreuses à toutes les influences du groove. Où le jazz est moins une fin en soi qu’un moyen de traduire l’agitation et le chaos actuels.
Culture club
L’acte de naissance de Yussef Kamaal en dit déjà beaucoup sur la nature du projet. C’est en 2015, à l’occasion d’une Boiler Room -session live filmée et diffusée sur le Net, et réservée généralement aux DJ’s-, que Kamaal Williams (alias Henry Wu), aux claviers, invite pour la première fois le batteur Yussef Dayes. Tous les deux sont originaires du sud-est de Londres: ils n’ont pas pu passer à côté des radios pirates de la capitale, et de la manière dont la culture électronique y a muté durant ces deux dernières décennies, donnant naissance au grime, au dubstep, etc. Quand ils décident de collaborer plus avant, il est donc clair que leur musique reflétera aussi ces rythmes-là.
Cela ne veut pas dire que leur premier album en binôme, signé sur le label du gourou Gilles Peterson, est un disque pour les clubs, loin de là. A maints égards, Black Focus rappelle davantage le jazz-fusion seventies. Epaulé par Tom Driessler (basse) et Mansur Brown (guitare), le duo invite le saxophone de Shabaka Hutchings et la trompette du Cubain Yelfris Valdes sur le titre d’ouverture qui, passé l’intro planante, quasi « éthiopique », déroule un groove juteux. Hormis le très funky au carré Lowrider, le disque aime surtout s’étendre et improviser des atmosphères, laissant le piano électrique de Williams diriger la manoeuvre, entre pointillisme cristallin et dérapages contrôlés. A charge de Dayes d’injecter avec sa batterie la dose de nervosité et de tension nécessaire au morceau. Une formule somme toute assez simple, mais qui donne un premier album des plus bluffants.
EN CONCERT CE 25/11, AU DEPOT, LOUVAIN.
LAURENT HOEBRECHTS
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