Buée légère

© DE LA SÉRIE UN SOLEIL VOILÉ © ANNE-SOPHIE COSTENOBLE / 44 GALLERY
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Au Musée de la Photographie, Anne-Sophie Costenoble envoûte le regardeur le temps d’une exposition en apesanteur.

L’Heure bleue

Anne-Sophie Costenoble, Musée de la Photographie, 11 avenue Paul Pastur, à 6032 Charleroi. Jusqu’au 03/12.

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Le Musée de la Photographie consacre une pièce entière au travail d’Anne-Sophie Costenoble, oeil arrivé sur le tard à la prise de vue. C’est à la fois beaucoup et c’est peu. On fait le choix de pénétrer dans la salle rectangulaire qui présente trente-deux images sans s’encombrer du moindre guide du visiteur, de la plus petite note d’intention. En tête, la certitude que ces images-là peuvent se passer des mots, ce qui n’est pas sans jeter un certain discrédit sur le texte à venir. De manière instinctive, on choisit de longer les murs dans le sens des aiguilles d’une montre. Peut-être est-ce d’ailleurs le bon choix car le premier ensemble de quatre clichés qui se présentent semble évoquer des débuts. À dire vrai, un commencement douloureux. Celui d’un nourrisson à la bouche déformée par un cri primal que l’on n’a aucune peine à imaginer. Douleur de la chute hors du liquide amniotique et apparition du vide, condition d’existence de l’espace et du temps… Voilà qui fait mal. À ce manque fondateur répondent des prises de vue aquatiques, tortue de mer, eaux stagnantes et autre lamantin qui évoquent une étrange plénitude: celle d’un monde où le moule de la perte s’emplit de plomb. Le dialogue du corps avec la nature et le monde animal traverse tout l’accrochage, il introduit une respiration et parfois une aggravation. On lève la tête pour observer le découpage général de cette Heure bleue, morse dont on aimerait percer le rythme qui alterne moyens et plus petits formats. De loin, les images sont d’une infinie délicatesse, on pense à la peinture, mais une peinture dénaturée par un tremblé, une buée légère pleine de pudeur déposée entre le monde et le spectateur.

Rien ne luit

On reprend la déambulation horlogique. Un sentier forestier trace sa perspective parmi les sapins, un « holzweg » dirait Heidegger, l’un de ces chemins qui ne mènent nulle part mais qui promettent des choses imprévisibles. Cette voie éminemment terrienne possède ses étoiles, une constellation de vesses de loup aux allures de blancs cailloux jetés sur le sol. On ne peut s’empêcher de penser que la scène condense l’écriture photographique telle que la propose Anne-Sophie Costenoble, soit un corpus d’images hanté par la disparition de la voûte céleste, ce fameux « ciel où rien ne luit » comme le convoque Céline en préambule du Voyage au bout de la nuit. Avare en horizons, elle donne à voir des êtres aux prises avec les densités et les forces -on pense à cette représentation de deux chiens s’attrapant par la gorge, l’homme serait en quelque sorte un chien pour l’homme. Pour échapper aux gouffres sombres, il n’y a pas d’autre choix que de puiser sa luminosité en soi-même à la manière de ces méduses qui arpentent les grands fonds. Il y a aussi cette main serrée que prolonge un avant-bras noueux. On dirait une branche morte, destin de calcification qui échoit aux êtres dont la combustion est en passe de s’épuiser. Avant d’en arriver là, heureusement, il y a la beauté, celle du dos des femmes, lascives architectures, des chevelures blondes et des jambes prometteuses irriguées de sang.

www.museephoto.be

MICHEL VERLINDEN

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