L’homo numericus est quand même un drôle de coco. Entre autres bizarreries, il aime s’inventer des contraintes là où il n’y en a pas. Comme avec Twitter, le rétrécisseur de pensée (140 signes max). Un outil déjà suspect à la base. Mais quand certains se piquent de jouer de la musique spécialement pour la plate-forme de micro blogging, on crie au secours! Passé l’effroi, on va quand même jeter une oreille sur le premier album de musique digitale taillé pour Twitter (1). En fait d’album, il s’agit de 22 « morceaux » (5 minutes au total) recrachés par un programme (de 140 signes donc) développé sous la houlette d’un universitaire anglais, Dan Stowell. Le résultat, entre tapis de beats répétitifs et déflagrations coïtales échappées d’un jeu vidéo vintage, est moins abrasif que prévu mais nous propulse quand même à la préhistoire de l’électro. On cherche en vain un embryon d’émotion dans ce radotage acoustique. Snobisme mis à part, s’enticher de ce mini trip noisy ou des « bips » émis par la première sonde envoyée dans l’espace, c’est kif-kif. Dan Stowell, nouveau roi des geeks? Ce n’est pas donné à tout le monde de passer une camisole de force à plusieurs siècles de musique pour en extraire un jus sonore âpre, métallique, dont on se demande à quoi il va bien pouvoir servir. Certains y verront une sorte de dépouillement ultime, qui serait à la musique ce que Kandinsky est à la peinture, d’autres au contraire une régression d’autant plus inquiétante qu’elle est volontaire. Le bruitisme trône bien sur la cheminée du rock, dès 1975 avec le Metal Machine Music de Lou Reed, mais il s’inscrivait alors dans le sens de l’histoire, comme une étape expérimentale obligée pour gagner d’autres cieux mélodiques. Ici, on réduit tellement le gigot auditif qu’il ne reste plus que les épices collées au fond de la sauteuse. Etrange. Et en même temps évident. Tout se consomme haché menu aujourd’hui. Le temps, ce n’est plus seulement de l’argent, c’est aussi un réservoir de loisirs potentiels pour paraphraser les Oulipiens. Faute de pouvoir diluer le temps, on fait donc au plus court pour ne pas rater les opportunités qui se bousculent au portillon. Les symptômes de cette « maladie » des temps modernes pullulent. A commencer sur le Net, vecteur de transmission numéro un. La websérie Dexter Early Cuts débite ainsi en tranches de deux minutes des épisodes censés précéder la série originale. Même les disques font régime. De 12 titres en moyenne, on est passé à plus ou moins 8 morceaux – Memory Tapes, Julian Casablancas ou Richard Hawley ont ainsi été pris récemment en flagrant délit de rapine.  » La musique, c’est du bruit qui pense « , faisait observer Victor Hugo. En 36 signes, tout est dit…

(1) http://supercollider.sourceforge.net/sc140/

Par Laurent Raphaël

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