Brooklyn’s Finest marque un salutaire retour à ses sources new-yorkaises pour un Wesley Snipes qui trouve là un rôle à sa main, à défaut d’une assurance sur de fastes lendemains.

Wesley Snipes jouant les caïds, voilà qui ne surprendra guère. S’il fut révélé par Spike Lee et Mo’Better Blues, bientôt suivi de Jungle Fever, l’acteur s’est ensuite fait une spécialité des rôles musclés, son parcours se partageant à peu près équitablement entre durs et héros de films d’action, enquillés avec une régularité de métronome sans que la qualité suive nécessairement. Un simple coup d’£il à sa filmographie est à cet égard éloquent qui, aux poids lourds des années 90, voit succéder une kyrielle de films toujours plus dispensables, The Art of War et la franchise Blade émergeant pratiquement seuls de la litanie des Marksman, Detonator et autre Contractor voués directement à la vidéo.

Autant dire que Brooklyn’s Finest d’Antoine Fuqua tombe à point nommé: Snipes y trouve mieux qu’un rôle à sa main, un film aux allures d’oasis dans ce qui commençait à ressembler à un désert cinématographique. Polar d’un noir d’encre, L’élite de Brooklyn entrecroise, à même le bitume new-yorkais, les destins de 3 flics fatigués -Ethan Hawke, Richard Gere et Don Cheadle. Trois hommes évoluant sur le fil du rasoir dans un monde au bord de l’implosion, dont Snipes incarne le versant ouvertement criminel, baron de la drogue sévissant dans les quartiers déshérités de East Brooklyn.

C’est plutôt en seigneur de la tchatche qu’il apparaît à la Mostra de Venise, lançant un « Long time no see » chaleureux avant de s’enquérir de la santé de la famille, du chat et du chien. On le ramène à nos moutons, et donc à ce Brooklyn dont la caméra d’Antoine Fuqua réussit à prendre le pouls – affolant: « J’imagine que, vu de l’extérieur, cela ressemble à de la fiction, ou à une éventualité née de l’imagination d’un réalisateur particulièrement inventif. Ce n’est malheureusement pas le cas. Bien sûr, le film traduit sa vision, mais tout est là: les événements, les gens, les circonstances et l’environnement. » Cette réalité, Wesley Snipes la connaît bien, ne serait-ce que pour avoir grandi dans un environnement comparable, le Bronx. « Tout n’y était pas à ce point exacerbé, nuance-t-il toutefois. Ce à quoi l’on assiste là est une sorte d’aberration de la pauvreté. On en est arrivé à quelque chose de totalement fou à cause de l’argent, du manque de respect et de la corruption qui règne parmi ceux qui veulent devenir les leaders. Les gens ont perdu toute foi, et se disent que si c’est quand même pour mourir, autant avoir vécu de façon scintillante auparavant. De mon temps, les choses étaient un tantinet différentes: c’était dur et sinistre, mais le souci des enfants et de leur protection était bien là. Jusqu’aux junkies ou aux prostituées, tout le monde imaginait un avenir plus souriant. Je ne suis pas sûr qu’il en aille encore ainsi aujourd’hui. »

Constat énoncé avec la lucidité de celui qui ne s’est jamais coupé totalement de ses racines: « Il m’arrive encore de me balader dans certains de ces quartiers, pour le meilleur et pour le pire. J’y ai des amis, de la famille, la nourriture est bonne, et je m’y sens chez moi. J’essaye d’arriver à un mélange harmonieux. Je ne perds pas de vue que le cinéma pourrait n’avoir qu’un temps », relève Wesley Snipes, sans doute quelque peu échaudé par une carrière en dents de scie, à quoi s’ajoutent ses démêlés à répétition avec le fisc américain. « En jouant dans un film comme celui-ci, j’ai plus de « street credibility » dans des lieux où, sans cela, je pourrais me retrouver dans la peau de la proie, ou être considéré avec mépris, en raison de mon succès. Un film comme Brooklyn’s Finest me permet de me rendre dans ces communautés et d’y rencontrer des gens en me sentant en sécurité et protégé. C’était également le cas avec New Jack City: je peux me rendre sans le moindre souci dans des quartiers où beaucoup ne vont pas parce qu’ils n’ont pas la bonne couleur de bandana, de chemise ou de chapeau. »

Films d’exploitation

New Jack City de Mario Van Peebles, et le personnage de Nino Brown, voilà qui nous ramène à une période faste, le début des années 90, où l’acteur avait l’un des profils cinématographiques les plus recherchés, de la côte est à la côte ouest des Etats-Unis. Insensiblement, son champ se rétrécira pourtant sur le film d’action, où sa pratique des arts martiaux est mise à des sauces multiples. Et si son incarnation de Blade, le tueur de vampires, en fait, en 1998, une forme d’icône (à plus de 70 millions de dollars de recettes, qui plus est), le succès de la franchise ne suffit pas à empêcher sa carrière de se déliter.

« Un acteur peut être exploité à tout moment, observe-t-il aujourd’hui avec le recul indispensable. On est parfois le dernier à savoir comment un film va sortir, quelles sont vraiment les intentions, l’argent et le soutien qu’il y aura derrière. Des films que j’aimais se sont ainsi retrouvés directement en DVD. Et dans le cas de certains films d’action, des agents qui prenaient de grosses commissions m’ont incité à les faire, pour le même résultat. » A défaut désormais d’agent, Snipes a cependant foi en son curriculum – « Les gens savent comment me trouver, et ils m’appellent. » Ainsi d’Antoine Fuqua, « le genre de réalisateurs dont rêvent tous les acteurs, à savoir qu’ils se sentent bien dans leur rôle de metteurs en scène, et ne veulent pas être les stars du film. Il a une vision très claire des choses, et est sensible au rythme des artistes, comme un chef d’orchestre qui peut en entendre les différentes sections. Et c’est fort bien ainsi. »

Reste à voir toutefois si cette expérience, aussi concluante soit-elle, aura des lendemains. Privé de The Expendables, réunion de gros bras fomentée par Stallone, et réunissant notamment Jason Statham, Dolph Lundgren, Bruce Willis et Arnold Schwarzenegger, Wesley Snipes se retrouve avec à son agenda, des titres comme Gallowwalker d’Andrew Goth (sic), où il aura à combattre un gang de zombies sous les traits d’un gunman maudit, suivi de Game of death, un film d’action de Giorgio Serafini, dont la bande-annonce le montre distribuant sans modération des mandales et autres coups de savates. Autant dire que l’on risque de voir son nom apparaître plus souvent dans les bacs de DVD soldés que sur les grands écrans. De là à ce qu’un Blade IV soit mis en chantier… l

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Venise

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