Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

L’OUVRE AU NOIR – LES « BLACK BLOCS » DONNENT LEUR NOM À UN POLAR BRILLANT MAIS AMBIGU: SI LA MOUVANCE ANARCHO-AUTONOME SE CHERCHAIT UN BRÛLOT, ELLE L’A SANS DOUTE TROUVÉ.

D’ ELSA MARPEAU, ÉDITIONS SÉRIE NOIRE GALLIMARD, 324 PAGES.

Swann était jusqu’ici une bobo parisienne sans histoire ni rébellion. Une assistante à la fac en physique moléculaire, heureuse avec Samuel, son compagnon, prof de sociologie. Mais Samuel est assassiné dans leur appartement, dans un simulacre grossier de cambriolage, et tout bascule.  » Sa disparition a ouvert une faille d’où l’on aperçoit des mondes noirs, nouveaux et sales. » Quelques pages plus loin, Swann aura rejoint les rangs de l’ultragauche et des casseurs de fins de manif, ceux que l’on nomme les « Black Blocs ».  » Elle lance le projectile de toutes ses forces. Le verre se brise. Devant le trou, Swann sent se libérer en elle une joie irréfléchie, immédiate. La fuite devient possible. On peut fissurer le monde et se sauver par une des brèches que l’on a ouvertes. » Sauf que ce monde est, lui aussi, au bord du basculement. La lutte armée serait-elle en train de reprendre son essor? Les anarchistes sont-ils prêts à remplacer le pavé par l’explosif? A fusionner leur idéologie « no future » avec des méthodes terroristes suicidaires -et qui ont fait leur preuve? Ou tout cela n’est-il que fantasme de flics et manipulation politique, pour faire oublier au bon peuple le chômage et la crise? Elsa Marpeau a son avis, si pas ses préférences…

Le roman de l’ultragauche

Avouons-le, on attendait ce Black Blocs avec impatience. D’abord pour son sujet, d’une brûlante actualité à l’heure où les révoltes sociales tentent d’embraser l’Europe et que les médias français ont beaucoup glosé sur leur nouvelle ultragauche, soi-disant remplie de saboteurs. Pour son auteure ensuite, pleine de promesses dans son opus précédent, Les yeux des morts, déjà ancré à Paris et la violence de sa misère sociale. De ce point de vue, aucune déception: Elsa Marpeau poursuit dans sa voie narrative -sèche, suffocante, exclusivement composée de phrases courtes- et prend une nouvelle dimension, indépendamment de son sujet. Son style gagne en puissance, et surtout, nous manipule encore plus que ses protagonistes, flics ou anarchistes.

On croit se plonger dans un thriller politique? On démarre au contraire dans un récit psychologique, centré sur un seul être au bord de la folie. Mais c’est pour mieux nous ramener ensuite, garde baissée, sur les rives idéologiques d’un mouvement pas encore terroriste, mais qui ne demande peut-être qu’à l’être. Elsa Marpeau, sans rien en dévoiler, boucle son polar sur une lettre ouverte, sorte de résumé, signé par… Le Black Bloc.  » Maintenant que tu as toutes les recettes pour faire ta propre cuisine, le moment est venu de refermer ce livre. Et de leur en foutre plein la gueule. » Est-ce une mouvance anarcho-autonome de fiction qui nous parle, ou l’auteure de Black Blocs? L’ambiguïté demeure.

OLIVIER VAN VAERENBERGH

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content