actrice

L’Oscar, le César, l’admiration des artistes et celle d’un large public. La comédienne Juliette Binoche avait tout pour être comblée dans un métier où son talent brillait tant sur les écrans du cinéma d’auteur le plus pointu que sur ceux du meilleur film populaire. Mais s’il est une actrice curieuse d’expériences nouvelles, et peu encline à se satisfaire d’un succès confortable, c’est bien l’interprète de The English Patient et de Trois couleurs. Voici quelques semaines, Binoche était sur la scène de La Monnaie, à Bruxelles, pour y danser dans In-I, spectacle du fameux chorégraphe Akram Khan qui y était aussi son partenaire. Une plongée dans un univers nouveau (elle n’avait jamais dansé), et une performance en tout point bouleversante. Elle promènera In-I en tournée durant l’année 2009, en même temps qu’une exposition intitulée In-Eyes, où sont montrées les peintures de Juliette. Un livre superbe (1) rassemble ces portraits de réalisateurs associés à des autoportraits de l’actrice dans ses rôles, des £uvres saisissantes, visionnaires souvent, qui révèlent encore un autre aspect d’une créativité décidément multiple…

2008 restera pour vous l’année d’expériences radicalement nouvelles?

J’ai toujours été curieuse de choses nouvelles, d’essayer ce que je n’avais pas encore eu l’occasion de faire, et même d’aller voir si j’en serais capable, sans aucune certitude au départ. Tenter des choses, c’est vivre! J’aime repartir à chaque fois de zéro, d’une page blanche. C’est pourquoi, je pense, des réalisateurs comme Hou Hsiao-hsien (avec lequel j’ai tourné Le Voyage du ballon rouge) et Abbas Kiarostami (avec lequel je vais faire un film en 2009) m’ont prise… alors qu’ils ne font d’ordinaire pas tourner d’acteurs professionnels. Il est très gratifiant pour moi d’être prise non plus comme une actrice, mais comme une personne qu’ils ont envie de filmer, et qui se trouve être une actrice… Tout comme Picasso qui avait appris toute la technique et s’est attaché à la désapprendre pour créer son £uvre, un acteur peut se remettre « à plat », dans un non savoir-faire, et faire surgir de soi une autre vie. Le jeu, pour moi, c’est une mise à nu! Avec In-I, c’est bien sûr plus flagrant, car je n’avais jamais dansé auparavant, et que ce n’est pas une mince affaire! Ca m’a pris mon année. J’avais cette envie de plonger dans l’inconnu, de trouver un langage nouveau… qui serait en même temps lié à qui je suis. Aller vers un ailleurs, tout en progressant dans la connaissance de soi. Inventer quelque chose de neuf sans jamais trahir qui je suis, tel est toujours mon but.

Quels furent vos coups de c£ur artistiques en 2008?

J’ai beaucoup aimé un livre de Christiane Singer, qui s’appelle Eloge du mariage, de l’engagement et autres folies. J’ai revu les films d’Ingmar Bergman, que j’adore et qui m’inspirent comme Scènes de la vie conjugale, un chef-d’£uvre total. J’ai découvert le chorégraphe Ellio Greco, que je ne connaissais pas du tout. En musique, Akram Khan m’a fait découvrir Ray Lamontagne, qui est très plaisant. Mais la plupart du temps, j’étais enfermée dans mon studio de peinture, ou alors j’étais avec mes enfants. J’ai eu peu d’occasions de faire des découvertes…

Des rencontres marquantes?

J’ai rencontré le Dalaï Lama, au mois d’août. Jean-Claude Carrière, qui a fait un livre avec lui, m’avait écrit en me disant « Si tu veux le rencontrer, viens! » J’ai été très touchée en l’entendant, durant un enseignement, parler de son impuissance, et de sa responsabilité à l’égard des Tibétains qui vivent mal alors qu’il connaît, lui, des conditions d’existence très confortables. L’aveu de son impuissance à influencer le cours des choses, malgré l’attention médiatique dont il fait l’objet, m’a beaucoup émue. Mon autre rencontre majeure de 2008 fut celle de Zhi Xing-wang, un maître chinois de la calligraphie, doublé d’un poète et qui est aussi professeur de t’chi kong. Il m’a fait découvrir la méditation, et la philosophie taoïste.

La Palme d’Or à un film français, joué par des interprètes non professionnels, vous a-t-elle marquée?

Je n’ai pas encore vu Entre les murs, mais je suis très réceptive à cette idée de travailler avec des non acteurs. Moi-même, je ne cesse d’observer les gens dans la vie réelle pour comprendre et pouvoir jouer mes personnages. J’ai vu une quarantaine de documentaires sur la Bosnie pour préparer le rôle d’Amira dans Breaking And Entering d’Anthony Minghella. Ce fut très éprouvant, mais absolument nécessaire: il faut que l’acteur passe par les ombres pour pouvoir remonter vers la lumière!

L’élection d’Obama aura été le grand événement politique de l’année…

Elle m’a donné une joie immense. Enfin, enfin, enfin! Il va avoir du travail, pour retourner les choses. Mais son avènement est hautement symbolique, et donne beaucoup d’espoir quand – par exemple – il parle de développer des sources d’énergie renouvelables.

Avez-vous ce sentiment qu’une année terminée est comme une page tournée, faisant place à une page nouvelle et vierge?

Oui, j’ai ce sentiment des années qui passent, et des pages qui se tournent. Peut-être aussi parce que j’ai des enfants et que je vois les années changer sur les étiquettes des cahiers… Notre système de pensée est bien sûr linéaire. J’aimerais qu’une année soit plus un cercle qu’une ligne horizontale, puisqu’il y a les saisons, l’idée d’un retour. De toute manière, il faut faire face à ces années qui passent, accueillir ce qu’elles amènent d’autre, de différent. 2008a été une des années les plus intenses que j’ai vécues. Et aussi une des plus solitaires. Pas une solitude qui me cloisonne, mais une solitude qui m’a permis de creuser ma terre, d’aller plus profond voir ce que je pouvais donner, à travers mon corps, ma pensée, mes sentiments. Comme cette envie de peinture, qui est partie du c£ur. 2008 m’a donné le désir d’aller plus loin encore dans la créativité, de mettre en scène peut-être. l

(1) Aux éditions Place des Victoires.

Entretien Louis Danvers

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