Loin des clichés, Riad Sattouf réhabilite joliment la figure de l’adolescent boutonneux dans une chronique savoureuse et atemporelle.

Les chiffres du week-end viennent de tomber, et il règne, en ce lundi matin, une douce euphorie dans les bureaux des Films des Tournelles, dans le 3e arrondissement parisien. Avec 212 000 spectateurs en cinq jours d’exploitation à peine, et une moyenne supérieure à 1000 par copie, Les beaux gosses(1), le premier long métrage du bédéiste Riad Sattouf, est le succès surprise du moment. Le mouvement pourrait d’ailleurs s’amplifier, puisqu’aux 200 copies initiales s’en ajouteront 90 en deuxième semaine. Signe, encore, du potentiel incontestable du film, le distributeur belge s’apprête, pour sa part, à le sortir sur 18 copies, pour la seule partie francophone du pays encore bien.

S’il savoure légitimement, Riad Sattouf reste prudent: « Je touche du bois », observe-t-il dans un sourire, alors qu’on l’interroge sur les perspectives que lui ouvre cette réussite. Sattouf, qui fait ainsi une entrée remarquée dans le monde du cinéma, n’est pas pour autant un inconnu. Voilà une demi-douzaine d’années, en effet, que Les pauvres aventures de Jérémie, d’abord, No Sex in New York et autre Manuel du puceau ou Ma circoncision ensuite, ont fait de ce trentenaire l’un des auteurs les plus en vue de la nouvelle BD française, l’observateur avisé de La vie secrète des jeunes pour Charlie Hebdo, le père aussi de Pascal Brutal, « l’homme le plus viril de France », dont les prochaines aventures sont annoncées en septembre.

C’est au demeurant l’une de ses bandes dessinées, Retour au collège, qui lui a ouvert les portes du Septième art: « La productrice Anne-Dominique Toussaint avait aimé cet album, et elle m’a proposé de faire un film. J’avais rencontré d’autres producteurs, mais j’ai apprécié son côté humain, et la façon dont elle parlait de mes bandes dessinées. J’aimais aussi beaucoup les films qu’elle avait produits: ceux d’Emmanuel Carrère, comme Retour à Kotelnitch . Mais aussi Caramel , Respiro , pas des films d’un premier abord facile. »

L’intérêt de Riad Sattouf pour le cinéma n’est pas neuf. Etudiant, il fréquenta d’ailleurs une école d’animation – une option qui, pourtant, ne l’a pas même effleuré au moment de se lancer dans Les beaux gosses. « Faire un film, c’était un peu un fantasme d’enfant, comme cela peut en être un d’aller dans l’espace. Et après, c’est très jouissif, j’aurais été vraiment idiot de ne pas tenter le coup. Mais je n’ai jamais pensé à un film d’animation. Mon style de dessin ne s’adapte pas à l’animation parce qu’il n’est pas stable. Dans La vie secrète des jeunes , par exemple, il m’arrive de dessiner un visage très réaliste et un autre pas du tout, et de les faire discuter. Je ne vois pas comment cela pourrait s’adapter en animation. Et j’avais vachement envie de travailler avec de vrais comédiens qui me fassent profiter de leur vécu, de leurs expériences… »

De la BD, il a par contre conservé le ton, et une façon toute personnelle d’embrasser le cadre de l’adolescence, thème qu’il ne se lasse pas d’explorer pour notre plus grand bonheur. « Le film est le petit frère de mes livres sur l’adolescence. Pour moi, l’adolescence est l’âge de l’adaptation: on doit s’adapter à des millions de choses, vivre avec les autres, gérer ses sentiments, s’adapter à sa propre image, à son corps qui change… J’adore la capacité des individus à vivre dans un environnement qui leur est imposé. J’adore les explorateurs, les aventuriers, toutes ces situations où l’homme est placé dans un contexte extrême et doit s’adapter à son environnement. C’est la pulsion humaine absolue. Même si moi, je ne suis pas du tout un aventurier. » L’adaptation, par contre, cela le connaît, lui qui, enfant, aura goûté tour à tour de la société syrienne et française – « j’ai été obligé, dans les deux cas, de m’adapter aux codes et à des conceptions totalement différentes de la vie. Peut-être ai-je été fasciné à ce moment-là. Je trouvais assez incroyable qu’il y ait des gens si différents qui soient chacun de leur côté tellement persuadés d’avoir raison. Le fait d’être des deux cultures m’a donné un regard extérieur sur les choses. C’est ce que j’ai gardé de cette période. »

Les figurants de la vie

La bonne distance? Toujours est-il que Les beaux gosses séduit par la pertinence d’un regard à hauteur d’ado mais également d’une stimulante atemporalité. Hervé, Camel et leurs camarades évoluent en effet dans un espace temps indéfini – leur monde n’est peuplé ni de consoles ni de portables, par exemple -, et c’est finalement plus le langage que les attitudes ou préoccupations qui les rattachent à l’époque. « Je ne voulais pas tant parler de l’adolescence que des émotions à l’adolescence, approuve Riad Sattouf. Et je voulais me faire un film à l’ado que j’avais été moi, à 14 ans, et qui me plaise en tant que spectateur aujourd’hui. J’ai donc fait une moyenne entre les deux périodes. Si j’avais fait un film sur les ados d’aujourd’hui, j’aurais été un peu à côté de la plaque, forcément. »

En tout état de cause, la vision qui en découle s’éloigne joliment des clichés ayant habituellement cours dans les représentations de l’adolescence au cinéma. Sattouf réhabilite l’ado boutonneux, tout en adhérant à une trinité toute juvénile – les gonzesses, la branlette et le métal -, cela avec un humour jamais démenti. C’est que l’âge bête est aussi un âge drôle, en effet. « Je ne voulais pas les voir à travers un problème, qu’il soit éducatif, culturel ou pénal. L’adolescence elle-même devait être le truc le plus dramaturgique de mon film. Il s’agissait d’être le plus sincère possible avec ce que j’avais vécu, et l’image que je gardais de ma propre adolescence, sans rien cacher. L’inflation des sources d’information fait que l’on a souvent une image très agressive, très violente de l’adolescent, alors que je ne suis pas sûr que cela ait empiré par rapport à mon époque. » Et de poursuivre: « Les beaux gosses , c’est un film sur les figurants de la vie, l’ado que j’ai été qui est forcément un antihéros sans intérêt. » A l’exact opposé donc d’ Hélène et les garçons et autres « mannequins sursexués » qui furent le cauchemar de sa jeunesse.

S’agissant de dédramatisation, Riad Sattouf fait encore du monde des adultes un miroir de celui des ados: « Mon intention était de montrer que tout le monde a été ado, et puis, on grandit. Etre ado n’est pas un état criminel, c’est terriblement un truc humain. » L’adolescence mène à tout, à condition d’en sortir… Bienvenue dans l’âge ingrat.

(1) voir aussi notre critique en page 28

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Paris

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