QUATRE ANS APRÈS L’EXPÉRIENCE ÉLECTRO DE Y.A.S., LA LIBANAISE YASMINE HAMDAN S’EST IMMERGÉE AUTREMENT DANS LA CULTURE ARABE VIA DES MERVEILLES, PARTIELLEMENT DÉGOTÉES À BEYROUTH. RÉSULTAT: UN ALBUM DE FEMME MODERNE.

Il y a quatre ans, on tombe sur Get It Right, fusée électro qui a la particularité d’être chantée en langue arabe. La Libanaise Yasmine Hamdan (1976) s’est associée à Mirwais Ahmadzaï (1960), fondateur de Taxi Girl, fameux pour ses contributions à trois disques de Madonna. L’album commun, Arabology, est fascinant, comme le clip de Get It Right, qui débusque l’électricité jouissive de la jeunesse libre du Caire: le disque sera néanmoins un flop commercial. Entretemps, on voyage trois fois à Beyrouth, où l’ombre de Yasmine rôde dans le microcosme rock: Soapkills, le (défunt) groupe électronique qu’elle a fondé en 1997 avec Zeid Hamdan (sans relation parentale) revient dans les conversations comme un mantra fondamental. Improbable mix de fric clinquant, de banlieues misérables, de neurasthénie urbaine et de tension politique, Beyrouth est le cordon ombilical du nouvel album, Ya Nass (lire critique page 35).

Pourquoi le projet Y.A.S., pourtant novateur et accrocheur, n’a-t-il pas fonctionné?

Avec Mirwais, les choses étaient… compliquées. On était davantage dans la confrontation que dans la complicité. Il ne voulait pas faire de scène, alors que pour moi, c’est l’endroit où je sors de ma zone de sécurité. Être sur scène est extrêmement jouissif: ton coeur, ton ventre, tout ton intérieur commencent à parler, comme si les cellules se révoltaient. Généralement, un verre de vodka aide à calmer tout cela (sourire). Le nouvel album, réalisé avec Marc Collin (Nouvelle Vague), s’est fait dans un dialogue permanent. De vraies conversations.

Tu y chantes Beirut…

Le texte date des années 40. Acide et sentimental, il taquine la société beyrouthine de l’époque, la compare à une fleur qui peut se faner. C’est troublant de voir à quel point l’histoire se répète. L’auteur du morceau, Omar el Zenni, a aussi écrit Bala Tantanat, sur le disque: une comptine mélangeant humour, politique et social, chantée par ma grand-mère. J’ai redécouvert tout cela dans des collections privées à Beyrouth -au Liban, il n’y a pas de vraie conservation du patrimoine musical- qui ont nourri ma propre discothèque arabe, allant de 1900 à 1980. Faire ces recherches a été comme une initiation, la découverte d’un monde arabe poétique, émancipé, riche, inspirant. Dans ces perles d’Irak ou d’Egypte, il y avait une élégance et une liberté qui existent toujours, mais plus difficilement. Comme la laïcité -dont je me réclame-, qui a largement été brimée par le monde arabe avec l’assentiment ou la passivité des Occidentaux.

Tu habites Paris depuis une douzaine d’années, (aujourd’hui avec son compagnon, le cinéaste palestinien Elia Suleiman, ndlr), mais tu retournes sans cesse au Liban: quel est ton lien au monde arabe?

Mon père a travaillé dans beaucoup de pays différents, donc à peine née au Liban en 1976, on a fui la guerre civile (1975-1990). J’ai habité à Abu Dhabi, en Grèce et au Koweït, j’y étais lors de l’invasion du pays par Saddam Hussein. J’ai donc vécu toutes ces ruptures et je ne crois pas aux contes de fées (…). Je vais souvent au Liban, qui est une membrane, un bordel sur lequel pèse toujours une vraie menace, qui draine énormément de réfugiés, un chaos qui dépend aussi fortement de la Syrie voisine. Quand j’ai commencé à faire de la musique avec Soapkills (fin des années 90, ndlr), on était les premiers à chanter en arabe sur une musique underground: il y avait peut-être un bar et dix musiciens seulement à Beyrouth (rires), mais on a pu faire des concerts en Jordanie et en Syrie. Damas avait une énergie fascinante, et on sentait que le pays était vraiment le berceau de l’humanité. Là, je ne vois pas d’issue immédiate à la crise.

L’histoire façonne forcément la musique?

Oui. Au début de Soapkills à Beyrouth, il y avait des coupures électriques douze heures par jour, un environnement extrêmement bizarre, zéro structure: rien à voir avec le quotidien d’un Européen. J’ai été chanceuse de travailler sur cette matière brute et inspirante. Aujourd’hui, la pop arabe, c’est une horrible pollution, où l’on se copie mutuellement, un véritable ghetto. J’habite partout, je voyage beaucoup, je suis un peu nomade, comme les Bédouins (sourire). L’administration française sous Sarkozy m’a refusé la nationalité française, mais je vais la redemander…

Ton album Ya Nass (traduisible par Hé les gens!, ndlr),sorti l’année dernière en France et qui paraît maintenant avec cinq titres différents chez Crammed, ramène des sonorités intimes, acoustiques ou doucement électros. Comment des auditeurs non-arabophones peuvent-ils l’appréhender?

Moi, j’écoute de la musique pakistanaise, soudanaise, mauritanien-ne et c’est comme la cuisine: cela me fait voyager. Je cherche à créer un espace et des propositions de libre arbitre, sans code particulier ou d’élément forcément familier. J’ai besoin de défendre mon travail en arabe et de sortir de certaines géographies: en chemin, je tombe sur des gens qui sont comme moi (sourire). Marc Collin est de ceux-là. Il faut trouver les bonnes personnes pour transgresser l’autorité. J’ai besoin d’être inspirée, téléportée, sinon je suis déprimée.

Le Printemps arabe?

C’est un beau terme mais un peu réducteur et instrumentalisé. On va passer par des périodes compliquées, des choses positives et négatives vont en sortir. Moi, je me positionne par des propositions artistiques: leur sens politique est indirect.

EN CONCERT LE 4 MAI AUX NUITS BOTANIQUE, WWW.BOTANIQUE.BE

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