RÉGULIÈREMENT SALUÉ POUR L’AUDACE DE SES CHOIX, BENICIO DEL TORO INCARNE L’INDIEN DES PLAINES AU CoeUR DE JIMMY P. , TOURNÉ AUX ÉTATS-UNIS PAR ARNAUD DESPLECHIN, L’UN DES FILMS MAJEURS DE CETTE RENTRÉE…

Entre Benicio Del Toro et Cannes, il y a déjà une longue histoire, déclinée tour à tour en habits de comédien -emploi assumé de Fear and Loathing in Las Vegas en Che, ce dernier lui valant un prix d’interprétation-, de réalisateur (il signait, l’an dernier, l’un des segments du film collectif 7 dias en La Habana), ou encore de membre du jury, qui le vit siéger en 2010 aux côtés de Tim Burton pour couronner Apichatpong Weerasethakul, tout en réservant le prix de la mise en scène au Tournée de Mathieu Amalric. L’acteur/réalisateur français, Del Toro le retrouvait récemment devant la caméra d’Arnaud Desplechin, dans ce qui restera assurément comme l’un des films les plus étonnants et les plus riches de la levée cannoise 2013, Jimmy P., psychothérapie d’un Indien des plaines. Soit l’adaptation de l’ouvrage écrit en 1951 par l’ethnopsychiatre Georges Devereux, exemple unique d’un volume donnant à découvrir l’intégralité d’une analyse, décrite minutieusement séance après séance. Mais aussi l’histoire, galvanisante, de l’amitié se nouant entre deux hommes que tout séparait a priori, un Indien Blackfoot névrosé et un praticien quelque peu bravache débarqué de sa lointaine Europe…

Une histoire importante

Sous les traits du premier, Del Toro impose une présence d’une force rare, son Jimmy Picard venant s’ajouter à une galerie d’incarnations qui en font l’un des acteurs les plus envoûtants de sa génération. Avec, aussi, ce qu’il faut d’audace pour s’écarter des autoroutes hollywoodiennes, et se permettre de musarder devant la caméra d’un réalisateur français, fût-il aussi estimé que Desplechin -ce qu’il résume en une phrase: « J’ai tourné beaucoup de films indépendants, et je veux pouvoir continuer à en faire. » Du reste, ne s’aventurait-il pas en territoire totalement inconnu: « J’avais vu Un conte de Noël, souligne-t-il. Mais ce qui m’a séduit, c’est l’histoire, la passion d’Arnaud lorsqu’il en parlait et son désir de faire ce film. Il m’a ensuite donné le scénario, le livre de Georges Devereux et quelques-uns de ses films, et j’ai énormément apprécié, de même que le fait qu’il se montre très ouvert. Il m’a montré la base même du projet et a partagé son travail avec moi, un peu comme le fait l’analyste à l’écran. Je me suis dès lors ouvert. Et puis, non contente d’être originale, cette histoire me semblait avoir de l’importance. »

Sans que sa portée politique n’occulte sa dimension humaine, Jimmy P. embrasse la perspective des Native Americans comme le cinéma ne l’a que trop rarement fait, en effet. « C’est la première fois que j’ai vu des Native Americans représentés comme de vraies personnes, et non comme des stéréotypes tels qu’on les a vus jusqu’à plus soif dans le cinéma américain », relèvera, à cet égard, Misty Upham, Indienne Blackfoot qui interprète Jane dans le film. Et d’adresser, dans la foulée, de pleines brassées de louanges à son partenaire et à son réalisateur: « Benicio ne le dira pas lui-même, mais il accomplit un pas immense pour les Native Americans. Je suis la première actrice amérindienne dont le rôle lui vaut de venir à Cannes, et cela grâce à lui et Arnaud. Et si certaines voix se sont élevées pour dire qu’il n’était pas indien (Del Toro est d’origine portoricaine, ndlr), je ne connais aucun acteur de son calibre qui aurait pu porter ce film -la question n’était donc pas là. » En quoi l’on ne saurait lui donner tort.

Si le film participe donc d’une évolution bienvenue, Del Toro refuse pour autant de s’en gargariser: « Il serait prétentieux d’affirmer que ce film dit tout ce qu’il y a à dire sur les Native Americans, et qu’il va influer sur les relations ou sur la manière dont ils sont traités aux Etats-Unis. Ou encore de dire que j’ai tourné Jimmy P. pour cette raison, observe-t-il, modeste. Le défi me semblait néanmoins valoir la peine d’être relevé, du fait de l’originalité et de la beauté intrinsèque de cette histoire, mais aussi parce que Jimmy Picard y est montré comme un être humain ne différant pas de vous et moi, et présentant beaucoup d’éléments auxquels tout un chacun peut se raccrocher. C’était fondamental. »

Tenir ses promesses

A toutes fins utiles, et histoire de bien comprendre le personnage, l’acteur a veillé à approfondir ses connaissances sur les « Natives », en plus de s’appuyer sur le scénario et le livre de Georges Devereux –« une fontaine d’inspiration », sans même parler de son intérêt pour le domaine de la psychanalyse. Et puisque tout est politique, il confie encore avoir été particulièrement ému par une phrase du dialogue, lorsque Picard, au moment de le quitter, remercie l’analyste pour avoir tenu ses promesses: « C’est important, si l’on considère l’Histoire des Indiens en Amérique. » Reste à voir quelle sera la réception réservée à Jimmy P. aux Etats-Unis, alors, par exemple, que le Che de Steven Soderbergh y fut tout simplement snobé. « Cela s’était révélé très difficile à vivre pour nous tous, se souvient Benicio Del Toro. Le silence est pire encore que les critiques. Quant à savoir s’il y avait là un agenda politique de Hollywood? C’est vous le journaliste, je ne vais pas spéculer, faute d’éléments concrets. Mais soit, en tout état de cause, l’accueil américain n’a rien eu de comparable avec celui dont le film avait pu bénéficier ici, à Cannes, ou en Europe. Mais Che était un film plus dur, et plus politique. Jimmy P. a été réalisé de façon fort élégante. Envisagé de façon appropriée, c’est un film plein d’espoir. »

JIMMY P.(PSYCHOTHÉRAPIE D’UN INDIEN DES PLAINES), D’ARNAUD DESPLECHIN. SORTIE LE 11/09, CRITIQUE ET INTERVIEW DU RÉALISATEUR DANS FOCUS DU 06/09.

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À CANNES

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