Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

BRANCHÉE SUR LA HYPE, FKA TWIGS SORT UN PREMIER ALBUM-OVNI RENVERSANT. DU R’N’B TORDU, AVANÇANT AU RALENTI, QUELQUE PART ENTRE JANET JACKSON ET KATE BUSH…

FKA Twigs

« LP1 »

RNB. DISTRIBUÉ PAR YOUNG TURKS.

9

La première fois que l’on est tombé sur FKA Twigs, ce devait être avec le clip de Water Me. En face caméra, le visage déformé de la jeune femme remuait des lèvres de canari et écarquillait des grands yeux d’alien. Malaise. Et fascination. Le r’n’b neurasthénique de FKA Twigs prenait directement des allures de pop extra-terrestre. Une musique à la fois hypersensuelle et suffocante, avançant en slow motion. Un peu comme si Aaliyah avait signé sur le label 4AD.

Il y a six mois, une nouvelle vidéo, celle de Hide, la montrait là « au naturel ». Filmée à Tulum, au Mexique, FKA Twigs vocalisait au milieu de ruines bouffées par la végétation, perdues dans la jungle. Selon l’humeur du moment, c’était une nouvelle démonstration d’étrangeté hypnotique ou… une pose un peu trop arty pour ne pas paraître artificielle: avant même d’avoir sorti son véritable premier album, FKA Twigs allait-elle déjà tomber dans le piège branchouille, et se résumer à une posture trop maniérée? Après quelques secondes à peine, LP1 évacue l’hypothèse, obligeant l’auditeur cynique à se poser finalement cette seule question: mais qu’est-ce donc que ce truc? Tahliah Barnett de son vrai nom est née en 1988, à Gloucestershire (un père jamaïcain, une mère anglo-espagnole). Elle commence une carrière de danseuse, en s’agitant notamment dans plusieurs clips (Kylie Minogue, Plan B…). Dans celui de Jessie J,Price Tag, elle apparaît en marionnette désarticulée. Elle, dont les os craquent bruyamment (« twig »), a déjà trouvé son nom de scène, rajoutant le FKA (Formerly known as) pour ne pas être confondue avec une autre artiste. Pour ce LP1, elle a collaboré avec une série de producteurs -Arca (Kanye West), Dev Hynes (Blood Orange), Paul Epworth (Adele…)… Il ne faudrait cependant pas se méprendre: c’est bien la jeune femme qui dirige la manoeuvre d’un premier album dont la force et la cohérence de la proposition épatent.

Ces dernières années, le r’n’b a été largement reformaté, réimaginé par une série d’artistes (The Weeknd en tête…) qui l’ont « jarté » de la piste de danse pour l’allonger sur le divan. Intimiste, voire claustrophobe, la musique de FKA Twigs se déploie ainsi lentement, un peu comme si Janet Jackson minaudait sur un morceau de The xx. Sur Preface, elle chante en boucle « I love another, thus I hate myself », une phrase du poète anglais du XVIe Thomas Wyatt, mêlant les voix dans une polyphonie qui rappelle par exemple la new wave gothique de Dead Can Dance. Plus loin, Lights On est le pousse-au-sexe (« When I trust you, we can do it the lights on ») le plus tordu entendu depuis longtemps: commençant par lorgner vaguement vers Calling You (la BO de Bagdad Cafe), il est capable de mélanger des textures étranges et le son boisé d’une contrebasse, multipliant les arrêts et lézardant dans la ouate, avant de s’emballer sur la fin. Autre exemple avec Pendulum, qui confirme à la fois la supplique r’n’b -ses vocalises à la Mariah Carey-, et le goût de l’expérimentation sonique.

Avec ce LP1, FKA Twigs tient ainsi l’un des « premiers albums » les plus impressionnants de l’année. Un véritable ovni qui zigzaguerait entre D’Angelo et Björk.

EN CONCERT CE SAMEDI, AU PUKKELPOP.

LAURENT HOEBRECHTS

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