Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

L’AS DE L’INTIME – Sa tournée reportée pour raisons de santé, Bashung s’impose sur Bleu pétrole, album au son magistral, soufflant des chansons épiques élaborées avec Manset et Gaëtan Roussel. Impressionnant.

Distribué par Universal. Sortie: 25/03.

Bashung est en arrêt maladie. On lui souhaite le meilleur et on l’attend sur la scène du Cirque Royal le 22 mai. Mauvais coup du destin pour l’artiste majeur de la musique française qu’on dit pressé de défendre ses nouvelles chansons, majeures elles aussi. Bashung est rare, ce n’est que son treizième album studio depuis 1977. Au fil des années, sa propension à livrer une musique absolument finie s’est doublée d’une volonté d’expérimenter et de faire éclater la forme corsetée du rock. Six ans après L’imprudence, album de l’incarcération, Bashung signe un disque aussi solaire que martien. Le son, comme toujours chez lui, est d’une beauté noire, dense, traversée de grands séismes: harmonica de bout du monde, guitares traçantes, piano fracassé contre des remparts de cordes, batterie sensuelle. Et parfois aussi ces claviers qui dessinent un background infini. Un espace chimiquement équilibré, refusant l’inutile, dont l’instrument principal reste la voix de Bashung. Celle-ci n’a rien concédé de sa théâtralité ni de sa capacité d’envoûtement naturelles. D’autant que le format des chansons est taillé pour le mélodrame beau-bizarre que l’artiste entretient depuis toujours.

MAXI TRIP

Les cinq récits élaborés par Gaëtan Roussel de Louise Attaque sonnent « comme du Bashung », à l’unisson des deux nouveaux morceaux apportés par Gérard Manset: tout cela colle à la peau du chanteur qui s’y abandonne comme si cette ouverture sur le monde le dégageait de ses asphyxies. Du coup, le disque sonne comme une aventure, un maxi trip, un projet dont chaque chanson vote pour l’inattendu. On retrouve de vieilles obsessions sémantiques de travail sur la langue ( Hier à Sousse), on se repaît d’incursions dans ce territoire bashungien qu’est la poésie politique au jeu de mot fusillé ( Résidents de la République), on reste bluffé par Comme un lego, neuf minutes passionnantes signées Manset. Chanson et c£ur du disque, sa mélodie, obsessionnelle, tire à elle des paroles à la fois apocalyptiques et terre-à-terre:  » Car si la terre est ronde/ Et qu’ils s’agrippent/Au-delà c’est le vide/Assis devant le restant d’une portion de frites/Noir sidéral et quelques plats d’amibes. » Quelque part entre le sublime et la baraque à frites: qui d’autre pourrait convoquer cette humanité-là sans avoir l’air ridicule? Bashung, über-interprète, champion de l’intime, prend aussi ses aises jusque dans les deux reprises absolument remarquables du Suzanne de Leonard Cohen et d’ Il voyage en solitaire de Manset. Un artiste qui ne rate pas ses reprises est un grand artiste. La preuve! Cerise sur la platine, la pochette est à l’image de l’album. Magnifique.

En concert le 22/05 au Cirque Royal, à Bruxelles.

PHILIPPE CORNET

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