Barbara par Balibar

Jeanne Balibar en Barbara, il y avait là une intuition devenue évidence à peine sa voix surgie des lettres lumineuses du générique. Entre l’une et l’autre, le film de Mathieu Amalric s’emploie à entretenir le flou, disposition discutée le temps d’un entretien cannois en suspension…

En tant qu’actrice, vous êtes-vous sentie possédée par Barbara?

Pas du tout. Je suis moi, je ne fais que des choses à moi, et le coup de la possession n’est jamais qu’un effet de montage, l’illusion du cinéma. C’est comme l’effet Koulechov: placez quelqu’un avec le regard comme ça, si vous mettez un train en face, on a l’impression qu’il a peur; et si vous mettez un beau mec, on a l’impression que la fille est amoureuse. Je ne fais que les trucs qui me passent par la tête dans l’instant et après, le scénario donne l’impression que je suis possédée. Mais moi, je n’ai pas besoin de m’occuper de cela.

Vous avait-on déjà parlé d’une ressemblance avec Barbara? Comment avez-vous travaillé un éventuel mimétisme?

Je ne ressemble pas à Barbara et je n’ai absolument pas travaillé le mimétisme. Vous me maquillez en Ava Gardner, ça marche pareil, en Audrey Hepburn aussi. Quand j’étais jeune, on me parlait beaucoup de ma ressemblance avec Bernadette Lafont. Maquillez-moi comme elle et je lui ressemblerai, mais nous ne nous sommes jamais dit « tiens, voilà mon double ». Cette histoire de ressemblance est de la blague totale, un effet d’illusion fabriqué pour le film, ou que d’autres gens ont pu avoir envie de fabriquer avec moi. Peut-être parce que je suis brune ou d’origine juive ukrainienne comme elle, ça ne va pas chercher plus loin. Je ne ressemble en rien à Barbara, et je n’ai pas travaillé le moindre mimétisme non plus, parce que cela ne m’intéresse pas du tout. J’ai été moi-même, en inventant à chaque seconde ce que j’avais envie de faire dans l’instant, et comment moi, j’aurais réagi, ce qui est le coeur même du métier d’acteur.

Quelle impression aviez-vous de Barbara?

L’impression de quelqu’un n’en faisant jamais qu’à sa tête. Ou ayant essayé de n’en faire qu’à sa tête et l’ayant revendiqué alors que ce n’était pas vrai: nous vivons dans un monde où les contraintes sont, pour chacun d’entre nous, multiples et tyranniques. Mais elle a pu avoir ce souhait, et cette illusion parfois d’être libre, ce qu’on entend dans sa musique, et de dire librement et fortement ce qu’elle ressentait. Cette disposition d’esprit est peut-être notre seul point commun, c’est ce qui me touche chez elle.

Pensez-vous que Mathieu Amalric ait fait un film sur Barbara ou sur vous?

(Silence) Il a fait un film sur lui, bien sûr. Dans l’attitude par rapport au métier, il lui ressemble beaucoup plus que je ne lui ressemble. Cette obsession, ces crises d’amour et puis d’énervement, ça ressemble beaucoup plus à Mathieu qu’à moi. Mais c’est normal: jouer le rôle principal d’un film, c’est toujours jouer le réalisateur. Là, il s’est divisé en deux, entre elle et moi. Lui se reconnaît en elle, et moi, il me demande de le jouer en elle, quelque part. L’intéressant, c’est qu’il ne faut pas obéir.

Barbara est un mythe fort documenté. Cela a-t-il changé votre approche?

Non, rien du tout. De toute façon, tout sort de l’imagination: on ne sait rien de la vie de quelqu’un, on peut lire tous les documents que l’on veut, l’important, dans une vie, c’est son mystère. Dans ce film, nous avons essayé que le mystère reste entier. Les biopics que l’on n’aime pas, c’est quand on a l’impression que ce mystère est abîmé et qu’on nous dit « en fait, c’était ça ». Qui peut se permettre de dire de quelqu’un « en fait, c’était ça »? De qui peut-on dire cela ? De personne: on ne peut pas le dire de ses parents, ni de ses enfants, ni de la personne que l’on aime. Alors, a fortiori, de gens que l’on n’a jamais connus. C’est cela qui est beau, et qui, moi, m’intéresse, en tout cas.

J.F. PL.

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