Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Le cinéaste israélien le plus critique et engagé continue à travailler le réel pour faire évoluer les choses.

Je filme ce que j’observe, ce que je connais, la société où je vis et où j’ai mes engagements« , déclare Avi Mograbi, le réalisateur israélien de Pour un seul de mes deux yeux et de Z32, en ce moment à l’affiche en Belgique. L’ex-étudiant en philosophie de l’Université de Tel Aviv travaille depuis 20 ans la société israélienne au corps, relevant ses contradictions et critiquant ses choix avec un engagement constant. A ses nombreux documentaires (plus d’une quinzaine, tous formats confondus) s’ajoute un engagement militant qui le fait par exemple travailler bénévolement pour l’association Shovrim Shtika. C’est dans le cadre de cette dernière qu’il recueille le témoignage d’anciens soldats, et qu’il entend celui du matricule Z32, hanté par sa participation à une opération de représailles où des policiers palestiniens étrangers aux faits « justifiant » l’action furent tués.

 » Une unité d’élite avait été envoyée pour abattre de sang froid des innocents, Z32 confessait avoir éprouvé du plaisir à perpétrer cet acte indigne d’un Etat de droit, et il cherchait désormais une forme de rédemption. J’ai bien sûr été marqué par son récit, mais je pensais au départ être incapable d’en tirer un film« . Avi Mograbi ne se voyait pas, en effet, tourner un film-interview, genre qu’il ne pratique ni n’affectionne.  » J’ai l’habitude de prendre une position d’antagoniste vis-à-vis de mes sujets, explique-t-il , et quand vous faites une interview, vous finissez invariablement par éprouver quelque empathie pour celui qui vous parle. Z32 ayant commis ces choses terribles, je ne voulais pas courir ce risque. » Si pourtant le cinéaste a fini par faire le film, c’est  » parce que l’histoire s’est révélée plus forte que la méthode. »

Un air d’opéra

Pour ne pas se contenter d’une simple confession face caméra (à visage masqué, bien évidemment), Mograbi a mobilisé son potentiel créatif en y ajoutant… des airs chantés, et en interprétant ceux-ci lui-même!  » La nature éminemment tragique du récit appelait à mes yeux une forme d’opéra. J’ai d’ailleurs pensé à un moment donné ne rien retenir de l’interview et faire un opéra politique à la manière de Bertolt Brecht et Kurt Weill, en me servant de la partie documentaire comme d’une source et rien de plus. » Au bout du compte, le réalisateur a mêlé les scènes chantées aux images de l’ex-soldat narrant ses lourds et pénibles souvenirs. Le résultat se révèle captivant, atteignant une intensité particulière quand le cinéaste et son protagoniste se rendent sur les lieux même où se sont déroulés les faits.

Perçu par de nombreux cinéphiles dans le monde comme la mauvaise conscience cinématographique d’Israël, Avi Mograbi suscite régulièrement le débat dans son propre pays. Mais sans pour autant toucher une large audience.  » Mes films sont diffusés par la télé Channel 8, une sorte de modeste équivalent israélien d’ARTE, commente-t-il . Le public de cette chaîne est composé de gens issus de la classe moyenne, intelligents, éduqués, et penchant vers la gauche modérée sur le plan politique. Je ne suis pas abordé dans la rue par des spectateurs voulant discuter de mes films. Mais j’aime bien aller chez mon optométriste, car dans sa salle d’attente, il y a toujours au moins une personne qui me reconnaît et qui me dit aimer mon travail… »

Louis Danvers

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