Hubert Lenoir, aux frontières du réel

© NOÉMIE D. LECLERC
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Le flamboyant Hubert Lenoir défendra aux Nuits Botanique un album aussi génial que déconcertant inspiré par le cinéma direct québécois et des centaines de moments de vie captés à l’iPhone. Entretien.

Il a le cheveu ébouriffé et le look androgyne. Un accent canadien prononcé et les expressions parfois un peu bizarres qui vont avec. Souvent présenté comme l’enfant terrible de la pop québécoise, Hubert Lenoir en est assurément le poil à gratter. Empêcheur de tourner en rond. Éternel inadapté. C’est d’ailleurs ce que raconte son deuxième album Pictura De Ipse: Musique directe. « Sans vouloir sonner dramatique -parce que ça ne l’est pas-, de toute ma vie, je ne me suis jamais senti à ma place où que ce soit. Je n’ai jamais rencontré une culture ou une communauté à laquelle je m’identifiais. En fait, je me suis toujours un peu vu comme un alien. Je me suis rapidement senti extrêmement seul. Ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Et j’ai vite compris qu’il fallait que je fasse les trucs à ma façon parce qu’il n’y avait pas vraiment d’avenue toute tracée. Je me suis toujours senti à part et j’ai toujours eu ce genre de sentiment constant de détachement. »

Le succès n’a pas vraiment modifié ses impressions d’inadéquation, son rapport distant à la société. Ni atténué non plus les remarques désobligeantes dont il pouvait faire l’objet. « Il change des choses bien sûr. Les gens te regardent davantage et différemment quand tu es un peu connu. Ils se font une certaine image de toi… Tu as le sentiment parfois, quand tu rentres dans une pièce, que les conversations s’arrêtent. T’es à l’épicerie et la caissière te regarde un peu bizarrement. Il y a quelque chose de cet ordre-là. La notoriété exacerbe tous ces sentiments. Les gens se comportent différemment aussi. Parfois, ils veulent quelque chose de toi. Parfois, ils sont trop gentils. De manière générale, la célébrité crée quelque chose de spécial dans la tête des gens. Et c’est encore autre chose quand tu es une figure polarisante. Certains adorent ça. Moi, j’habite à Québec: c’est une plus petite ville, les gens du quartier me connaissent. »

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Hubert Lenoir est né Hubert Chiasson en août 1994 à Beauport. « Mon père travaillait dans la fonction publique. La musique, c’était pas grand chose à la maison. Mais le fait que mes parents n’en écoutent pas beaucoup a profondément influencé la mienne, je pense. » Pour Hubert, elle reste quand même une histoire de famille. À 17 ans, il forme avec son frère le groupe The Seasons et se met à courir le monde. À la base, il se destinait à une carrière sportive et se voyait skieur professionnel. « J’ai terminé deuxième aux championnats du Canada. J’étais dans le freestyle. Les bosses. Mes parents viennent de ce milieu-là. Ils se sont rencontrés dans une station de ski. J’ai commencé super tôt. Ce que j’aurais surtout voulu faire, c’était le hors-piste. »

Ça lui va bien, tiens, le hors-piste à Hubert Lenoir. La quête de liberté, le goût du singulier… Parce que les cases et les étiquettes, c’est pas trop son truc. Autoportrait d’une jeune homme de 27 ans transformé par le succès et la curiosité parfois malsaine qu’il suscite, son nouvel album, Pictura De Ipse, a été profondément marqué par le cinéma. « Je regardais énormément de documentaires à l’époque. J’en regarde encore beaucoup. Au Québec, on a eu une vague qu’on appelait le cinéma direct (le cinéma vérité en France, NDLR) dans les années 50, 60 et 70. Il s’agissait de films documentaires, un peu brouillés parfois. On parle de cinéastes qui racontaient des histoires à partir de ce qu’ils avaient capté du réel. »

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Lorsqu’il se met à écouter les enregistrements qui traînent par centaines sur son iPhone, certains depuis quelques années, Lenoir voit une manière de laisser le réel dicter la narration de l’album. De retrouver le chemin vers lui-même. Un tournant, un déclic alors qu’il avait du mal à déceler la beauté et la pertinence de ce qu’il créait depuis la sortie de Darlène. « J’avais capté ces moments comme ça, sans but précis. L’idée m’est venue un soir. J’ai construit un pont dans ma tête entre ma fascination pour le documentaire et ma musique. Je me suis dit que j’allais faire de la musique directe. Je pense que ça reflète ma fascination des sons en général. Le son d’une voix juste parfois. Une forme de souvenir peut-être. Honnêtement, je ne sais pas. En plus, ça peut déstabiliser les gens que tu les enregistres. J’ai commencé à un moment où ma vie était en plein changement. Je vis des choses encore extrêmes aujourd’hui. Cette aventure ne s’est jamais vraiment arrêtée. Mais j’avais peut-être envie de marquer des repères. Comme Hansel et Gretel qui jettent des cailloux pour retrouver leur chemin. »

Anticonformiste

« Je voudrais te parler de mes sentiments que j’éprouve en secret. Danse autour de moi pour déchiffrer les effets que tu fais. Mais je sais que tu sais que c’est comme ça. Condoléances à tous ceux qui sont comme moi. » Dans Secret, le premier vrai morceau d’un album truffé d’intermèdes parlés et de pistes d’ambiance, Hubert Lenoir fait référence à un de ses meilleurs amis dont il était amoureux et qui ne l’a jamais su. S’il a longtemps juste ressenti le sentiment de ne pas « fitter« , Hubert Lenoir se dit aujourd’hui non binaire et bisexuel. Il s’est fait traiter de fif (un homme efféminé, en québécois). S’est même pris des coups dans la rue. Mais il assume. L’occasion de soutenir les personnes issues de la diversité sexuelle et de genre.

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Révélation de l’année, album pop de l’année, chanson pop de l’année et choix de la critique. Lenoir avait en 2018 remporté quatre Félix, l’équivalent des Victoires de la musique, pour son premier album Darlène. Il s’était aussi fait remarquer en suçant son trophée, suscitant sur les ondes les quolibets de l’animateur radio Dominic Maurais qu’il reprend sur son disque. « Quel idiot! Hubert Lenoir, c’est confirmé. Le gars est un idiot, de la ligue nationale des idiots. » Lenoir s’en est toujours pris plein la tronche. Le sort réservé aux anticonformistes, à ceux qui ne se laissent pas couler dans le moule.

« Je crois en effet que Pictura De Ipse a surpris les gens. Mais je pense qu’ils ont compris la démarche. Je vois tout ce que je fais comme une proposition artistique. C’est après avoir terminé le disque seulement que je me suis rendu compte qu’il était peut-être plus difficile d’approche que Darlène . Ce n’était pas dans mon état d’esprit de vouloir faire quelque chose de moins accessible. C’est arrivé naturellement. Mon prochain disque sera peut-être ce que je ferai de plus pop. » Tant pis si ça ne plaît pas à tout le monde… « Un réalisateur que j’aime comme Quentin Tarantino a à la fois connu des échecs et des succès critiques et/ou commerciaux. C’est pas sain d’aimer tout ce que quelqu’un fait. Chez chaque artiste, il y a toujours des trucs que tu aimes moins ou que tu n’aimes pas. Après, il y a une différence entre adorer et respecter la démarche. »

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D’Henry Mancini à Avril Lavigne

Hubert Lenoir est un vrai passionné de musique. Il en écoute énormément. Un tas de trucs différents. « Mais il y a d’office des choses qui sont plus dans mes vibrations. Des choses que j’ai envie d’approfondir et de mettre dans ma musique. » La veille de notre entretien, il s’est enchaîné des musiques de films: des bandes originales d’Henry Mancini, Vince Guaraldi, Bernard Herrmann et François de Roubaix. « Je connaissais de nom mais je ne m’étais jamais penché sur ce qu’il avait fait. Je suis parti sur Les Lèvres rouges , Daughters of Darkness . J’ai écouté ce que Spotify m’offrait. » Lenoir a une conception tout sauf élitiste de la musique. Il dit beaucoup écouter ces derniers temps le Konvicted d’Akon, Avril Lavigne, Lil Wayne… Ce dans quoi il baignait quand il était plus jeune. « J’ai vraiment ce truc de culture populaire en moi. Je découvre de la musique chaque jour. Et j’essaie d’aiguiser. De peaufiner. D’être de plus en plus (ou moins) précis sur ce que j’aime. Mais à chaque fois que j’ai l’impression d’avoir compris quelque chose, une autre option s’offre à moi. C’est toujours à reconstruire. Une réinvention permanente. »

Personne ne lui a donné particulièrement l’envie de monter sur une scène. « J’étais extrêmement timide enfant mais j’avais l’impression que si je montais sur une stage , j’allais un petit peu quand même savoir quoi faire. J’avais ce genre de feeling. C’était un peu étrange. J’aimais beaucoup la musique mais je n’en connaissais pas grand chose. Je n’avais pas un entourage très musical. Je ne connaissais pas de mélomanes. Je me nourrissais d’un peu n’importe quoi, de tout ce que la culture de masse me donnait, sur MTV notamment. C’était tout ce que je pouvais me mettre sous la dent. Mais la musique en général, pas nécessairement la scène, je me souviens encore m’être dit que j’étais né pour en faire. » La démonstration est sur son disque, comme en concert. éclatante.

Pictura De Ipse: Musique directe, distribué par Simone Records. ****Le 06/05 au Reflektor (Liège), le 07/05 au Grand Salon dans le cadre des Nuits Botanique (Bruxelles) et le 08/05 au Grand Mix (Tourcoing).

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