Julie Bertucelli, la réalisatrice de The Tree, a dû faire un casting… végétal, pour réussir admirablement un film où l’imagination d’une enfant vient adoucir un deuil cruel.

Elle vient de signer l’un des plus beaux films de l’année, mais n’en perd pas pour autant une humilité que lui ont appris en tout premier lieu son réalisateur de père (Jean-Louis Bertucelli), puis les maîtres cinéastes dont elle fut l’assistante (Krzysztof Kieslowski, Bertrand Tavernier, Otar Iosseliani, Rithy Panh). Venant après le déjà remarquable Depuis qu’Otar est parti, son deuxième long métrage de fiction, The Tree, porte à incandescence une histoire de deuil et d’imaginaire enfantin.

Comment est né ce singulier projet qu’est The Tree?

Au départ, je voulais adapter un autre roman, Le Baron perché d’Italo Calvino, que j’avais lu enfant et qui était resté un de mes livres de chevet. J’ai hélas découvert qu’avant de mourir, Calvino avait interdit qu’on adapte son £uvre au cinéma. J’étais déçue, frustrée, mais cette idée d’une histoire impliquant un arbre (1) m’était restée en tête. C’est une de mes cousines qui m’a signalé le livre de Judy Pascoe, L’Arbre du père. J’ai tout de suite flashé sur ce roman que je sentais très proche de moi, et que je me sentais très libre d’adapter, de transformer. Car ce texte exaltant le pouvoir de l’imagination, de la créativité, face à une réalité cruelle était lui-même très ouvert à mon propre imaginaire. Une productrice australienne avait déjà les droits, mais elle a aimé mon premier film et elle a accepté de faire une coproduction, dont je serais la réalisatrice. Il fallait donc tourner en Australie, alors que l’histoire est très universelle et aurait pu être adaptée ailleurs. Mais ce fut un grand plus, car là-bas la nature est tellement imposante, nous ne sommes tellement rien par rapport à sa force, que cela renforçait encore le propos.

Il vous a fallu faire un casting… végétal!

C’était crucial, en effet, de trouver le bon arbre! On a mis presque 2 ans… Comme il était presque impossible de trouver au même endroit l’arbre et la maison, nous avons décidé de trouver le premier et d’ensuite transporter une maison pour l’installer à côté. On a vu un millier d’arbres. L’élu devait être à la fois envoûtant, facile à escalader, magique, et potentiellement inquiétant. Nous avons eu un coup de foudre pour ce figuier de Morton, de la famille des ficus. Et il a heureusement accepté ( rire)! On lui a juste rajouté des racines, pour qu’il convienne parfaitement aux nécessités du récit.

Comment avez-vous choisi l’enfant (Morgana Davies), et ensuite la mère (Charlotte Gainsbourg)?

J’ai vu au total 300 petites filles. Quand sa mère nous a amené Morgana, qui avait 7 ans, nous avons découvert une puissance d’actrice incroyable, aussi une photogénie pas possible. On a fait 5 ou 6 essais de plus en plus approfondis, pour être certain qu’elle pourrait tenir ce rôle de 9 semaines à 5 heures de travail par jour (chose très rare pour un comédien enfant). Elle s’est merveilleusement intégrée dans le rôle. Au pur plaisir du jeu, elle ajoutait une intériorisation tout en intelligence et finesse. Pour le personnage de la mère, j’avais d’abord cherché une actrice australienne, sans trouver mon bonheur. Petit à petit s’est installée en moi l’idée que ce serait finalement mieux que cette mère soit une « exilée », ce qui renforcerait sa solitude. Une Française, pourquoi pas? Dès lors, il était évident que ce serait Charlotte. Pour sa grâce, sa simplicité, sa finesse. Mais aussi parce que cette mère doit être à la fois forte et fragile. Charlotte, qui est devenue femme puis mère sans cesser d’être aussi enfant (tous les âges de sa vie coexistent en elle), était l’interprète idéale.

Votre film évolue sur le fil, aux confins du réel et de l’imaginaire. Comment avez-vous travaillé à ce délicat équilibre?

Je crois que, fondamentalement, la créativité nous aide à dépasser les drames que la vie nous inflige. Que l’imagination nous aide à faire quelque chose de bien à partir de ce qui nous arrive de mal. A faire « avec », et à en sortir plus fort. Dans l’expression « faire son deuil », c’est le mot « faire » que je retiens, pas le mot « deuil ». Le film exprime entre autres cela. Et devait donc, dans sa forme aussi, laisser transparaître cela, en exaltant la nature omniprésente, mais aussi l’inconscient qui s’y projette. Avec la nature comme miroir des sentiments. J’ai utilisé mon expérience du documentaire pour filmer cette fiction avec le plus de vérité possible. L’Australie, la présence de la culture aborigène, offraient un cadre idéal à cette démarche.

(1) Le Baron perchénarre l’histoire d’un petit garçon qui décide de grimper dans un arbre et qui n’en redescendra plus durant toute sa vie.

Rencontre Louis Danvers

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