Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

LIEUX D’ÉCHANGE MAIS AUSSI DE REPLI SUR SOI, LES FRONTIÈRES CRISTALLISENT LES TENSIONS DU MONDE CONTEMPORAIN. UNE EXPOSITION INVITE À LES REPENSER AVEC ACUITÉ.

Frontières

MUSÉE DE L’HISTOIRE DE L’IMMIGRATION, PALAIS DE LA PORTE DORÉE, 293, AVENUE DAUMESNIL, À 75012 PARIS. JUSQU’AU 29/05.

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Il y a peu, les frontières, on s’en tapait les cuisses. A l’image du Rien à déclarer de Dany Boon, beauferie douanière présentant la chose comme l’incarnation folklorique de crispations identitaires archaïques. Mais ça, c’était avant, époque « l’inoffensive frontière de papa ». Aujourd’hui, la notion a pris un autre visage, nettement plus menaçant. Tout particulièrement depuis qu’un petit garçon syrien, Aylan Kurdi, a été retrouvé mort, face contre sable, sur une plage turque. Même si le processus était antérieur, une partie de l’opinion publique internationale, qui a besoin de se raccrocher à des symboles forts, comprenait enfin que les frontières, en l’occurrence celles de l’Europe, pouvaient être un mur au pied duquel des innocents perdaient la vie. Et que les migrants n’étaient pas là pour voler le pain des autres. La frontière surgissait soudain dans toute son horreur: une cloison séparant le confort du désespoir. Un fameux contraste à l’heure de la mondialisation et de la libre circulation des marchandises. Depuis, la frontière est pensée de façon binaire: un en-deçà duquel tout ce qui arrive est, pour les uns, injustice intolérable, pour les autres, rempart salutaire. S’interroger sans fard sur cette notion, tel est le propos de Frontières, exposition du Musée de l’Histoire de l’immigration à Paris qui convoque, en trois sections, 250 objets du quotidien, des archives, des cartes, des oeuvres d’art, des photographies, des vidéos, des témoignages, afin d’appréhender cette réalité à mille lieues des brèves de comptoir que l’on nous déverse dans les oreilles chaque jour.

Ouverture au monde

Dans un contexte international rigidifié, Frontières entend « promouvoir l’apaisement« , selon les mots de l’historien Benjamin Storia, président du musée. Fidèle à sa mission, l’institution martèle les aspects d’enrichissement par l’immigration. Nul opportunisme dans cette démarche dont la programmation était prévue de longue date. Dès l’extérieur du musée, une sculpture du Sénégalais Diadji Diop donne le ton. Le corps, en résine époxy rouge, d’un énorme nageur semble progresser dans la végétation. Dans le bonheur figure un individu qui ne semble appartenir à aucun groupe humain mais les évoque tous. Le message est clair: plus qu’à une histoire des frontières, l’exposition s’intéresse à ceux qui les franchissent, les êtres humains derrière les flots migratoires, ceux qui risquent leur vie. A l’intérieur, c’est par l’évocation du naufrage de Lampedusa que s’ouvre la scénographie signée par un historien, Yvan Gastaut, et une géopolitologue, Catherine Withol de Wenden. Le visiteur prend la mesure de la forteresse qu’est la Méditerranée, cette « mare nostrum » longtemps vendue comme « carrefour de civilisations ». Un fil conducteur se noue, s’appuyant sur le schème de l’opposition. A travers une matière photojournalistique (les images d’un Gaël Turine, celles d’Ad van Denderen, les archives du Musée national des douanes…), c’est bien l’antagonisme qui règne en maître. Voyage, ouverture, audace versus repli, nationalisme étroit, rétractation. Peintures et dessins enfoncent le clou du propos à travers les oeuvres de Plantu, Borislav Sajtinac ou Oscar Rabin. Au final, on ressort avec le sentiment d’avoir fait un bout de chemin salutaire pour décrypter l’actualité. Et de ne plus être tout à fait le même.

WWW.HISTOIRE-IMMIGRATION.FR

MICHEL VERLINDEN

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