LA RÉALISATRICE QUÉBÉCOISE D’INCH’ALLAH PORTE UN REGARD PERSONNEL SUR LA SI DIFFICILE COEXISTENCE ENTRE ISRAÉLIENS ET PALESTINIENS.
« Une grande quantité de rencontres humaines sont à l’origine de mon film, un film qui est devenu pour moi une nécessité au fil de ces rencontres« , déclare Anaïs Barbeau-Lavalette. La jeune réalisatrice canadienne a beaucoup voyagé au Proche-Orient, tissé des liens, et même appris l’arabe. « C’était par intérêt personnel, pas dans l’optique d’un film, se souvient-elle, mais plus j’y allais, moins je comprenais! » Et puis, au bout d’un moment, est venu « ce ressenti, ce besoin de faire un film à partir de toutes ces questions, en transformant les rencontres en fiction, en racontant une histoire. » Un événement précis, d’ailleurs évoqué dans Inch’Allah, joua un rôle déterminant dans ce processus: la mort atroce d’un petit garçon palestinien écrasé par un véhicule de l’armée, dont Barbeau-Lavalette fut le témoin direct lors d’un de ses voyages dans la région.
La cinéaste québécoise a voulu que son film présente des personnages des deux côtés. « C‘est sûrement délicat de parler d’un sujet qui, a priori, ne m’appartient pas, parce que je ne suis ni israélienne ni palestinienne, explique-t-elle, mais mes séjours sur place me l’avaient fait habiter, au point de me sentir légitime, de dire que j’avais le droit d’apporter mon point de vue d’Occidentale. » Elle avait commencé par prendre des notes, pour elle-même. Ensuite elle a réalisé un premier documentaire (Si j’avais un chapeau, tourné avec des enfants des camps de réfugiés), puis un second (Se souvenir des cendres, prenant pour prétexte le tournage d’Incendies, de Denis Villeneuve), avant de « se sentir prête à oser la fiction. »
Hyperréalisme
Une des qualités d’Inch’Allah est de ne pas présenter des personnages simplement emblématiques, relais figés d’une idéologie ou même d’un débat. « Je ne voulais pas faire un film sur le conflit, sur la guerre, et pas non plus un film académique. Je voulais que le spectateur y fasse des rencontres, s’attache à des êtres et à ce qu’ils vivent. Il fallait donc que les protagonistes du film, tous librement inspirés d’êtres réels, soient sentis, précise la réalisatrice. Alors j’ai fait appel à mes amis des deux côtés, je les lançais sur un sujet de discussion, le thème de la scène, et j’enregistrais tout ce qu’ils disaient, en écrivant ensuite les dialogues du film à partir de leur libre parole… Mon véritable ancrage, c’était eux! » Une méthode un peu particulière, pour un film où le réel et l’artifice s’épousent parfois de très singulière façon. Comme quand est reconstruite, pour les besoins du tournage, toute une portion du mur de sécurité séparant Israéliens et Palestiniens! « Les lieux ont une importance cruciale pour moi, et mes repérages étaient très précis, commente Anaïs Barbeau-Lavalette, notamment concernant ce dépotoir situé tout près du mur, côté palestinien, et où jouent les enfants. Les déchets qui s’y accumulent sont ceux jetés par les colons depuis l’autre côté… Comme nous ne pouvions pas tourner en Palestine(faute de pouvoir s’y assurer d’une sécurité minimale, aux dires de la production),ce lieu et d’autres ont dû être recréés en Jordanie. Avec la conceptrice de la décoration, on a ainsi fait construire un mur de séparation de 300 mètres de long! » Un paradoxe de plus, une originalité de plus, pour un film que son auteure, venue du documentaire mais fermement installée dans la fiction, a voulu hyperréaliste.
Ses interprètes, tous remarquablement justes, la réalisatrice les a choisis avec soin, à commencer par Evelyne Brochu, canadienne comme elle et qui incarne Chloé la volontaire travaillant dans le camp palestinien. « C’est son voyage à elle que nous suivons, c’est à travers elle que nous recevons tous les éléments du conflit, commente Barbeau-Lavalette, il fallait donc une actrice qui soit à fleur de peau, qui réagisse à tout ce qu’elle reçoit et perçoit. » Les autres ont presque tous été trouvés lors de « castings sauvages », en Jordanie surtout. Ou d’auditions plus normales à Tel Aviv et à Paris, sans oublier bien sûr le Québec. Filmant « très près des acteurs« , très souvent caméra portée à l’épaule, dans un style où l’influence des frères Dardenne peut se lire, la réalisatrice d’Inch’Allah donne à son film une intensité qui en a fait une des révélations du récent Festival de Berlin.
TEXTE LOUIS DANVERS
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