Au-delà des apparences

Un excellent ouvrage collectif revient sur le parcours de l’auteur de La Féline, dont l’art de la suggestion s’est exprimé du fantastique au film noir et au-delà…

Jacques Tourneur

Ouvrage collectif, sous la direction de Fernando Ganzo. éditions Capricci. 224 pages.

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Artisan au sens noble du terme, Jacques Tourneur s’est illustré, tout au long d’une carrière entamée en France avec les années 30 pour rebondir ensuite aux États-Unis à compter de 1939, dans les genres les plus divers. Du fantastique au film noir, bien sûr, dont il a signé, de La Féline à La Griffe du passé, quelques-unes des émanations essentielles. Du western au cinéma d’aventures, aussi, avec des films comme Wichita ou La Flèche et le Flambeau, et jusqu’au péplum, le temps d’une Bataille de Marathon tournée en Italie au crépuscule des années 50. Curieusement cependant, le fils de Maurice Tourneur (sous le patronage duquel il fera ses débuts) n’avait été l’objet que de rares exégèses en français, dont l’incontournable Jacques Tourneur ou la magie de la suggestion, de Michael Henry Wilson, publié en 2003 par le Centre Pompidou. Une lacune comblée par cet ouvrage collectif publié par les éditions Capricci à la faveur de la rétrospective que lui consacrait le festival de Locarno l’été dernier.

Cinéma de la trace et de l’évanescence

Précieux, cet essai l’est à plus d’un titre. Ainsi, déjà, parce qu’il embrasse l’ensemble de l’oeuvre d’un cinéaste trop souvent considéré uniquement pour la trilogie de films fantastiques réalisés, au début des années 40, pour le producteur Val Lewton, à savoir La Féline, Vaudou et L’Homme-Léopard. Lesquels devaient révolutionner le genre (« J’ai toujours pensé que l’on doit évoquer les choses et ne jamais les montrer« , explique-t-il dans un entretien aux Cahiers reproduit dans cette édition), et lui tenir lieu de passeport pour la postérité. Une approche exhaustive englobant notamment ses téléfilms, dont Chris Fujiwara écrit que, « par leur nature spectrale, ils forment un appendice cohérent à son oeuvre principale, qui est un cinéma de la trace et de l’évanescence« .

Un autre intérêt réside dans la manière dont ce volume superpose aux réflexions de spécialistes, envisageant l’oeuvre à travers les différents genres abordés par Tourneur, les propos du cinéaste, empruntés à un entretien paru dans la revue Présence du cinéma à l’automne 1966. Si les analyses valent par leur pertinence (mentionnons l’étude brillante que produit Patrice Rollet de L’enquête est close, le comparatif éclairant, si l’on peut dire, que trace Hervé Gauville entre La Griffe du passé et Nightfall, ou encore le regard que porte Mathieu Macheret sur les courts métrages des débuts et « l’humeur saturnienne qui y flotte« )et convergent dans leur perception d’un auteur chez qui « le hors-champ n’est pas une mince affaire« , elles y trouvent un écho volontiers pragmatique. « Je suis exactement comme un menuisier à qui on donne un bout de bois à sculpter et qui le sculpte« , confiait par exemple Tourneur. Artisan, jusqu’au bout des ongles…

Jean-François Pluijgers

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