Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Far East – Wong Kar Wai offre la version définitive de son somptueux Ashes Of Time, film d’épée mais aussi et surtout film d’amour et de mort, passés au crible d’une mémoire fuyante.

De Wong Kar Wai. Avec Leslie Cheung, Jacky Cheung, Tony Leung Chiu Wai. 1 h 30. Dist: A Film.

Il circulait tellement de versions différentes d’ Ashes Of Time que Wong Kar Wai a voulu en donner une version revue et corrigée par lui-même, et fixant à ses yeux définitivement ce que doit être le film. Le réalisateur d’ In The Mood For Love avait tourné au début des années 90 cette £uvre faisant incursion dans le genre du film d’épée très populaire à Hong Kong comme dans le reste de la sphère culturelle chinoise. 2 ans de tournage avaient été nécessaires (?) à la finition d’un spectacle que le grand public allait bouder, tant il s’éloignait des canons du film d’arts martiaux classique. Le prix élevé d’un film ayant largement dépassé son budget de départ, faisant peser une pression économique sur le réalisateur, dont la position vis-à-vis des producteurs allait être pour un temps affaiblie.

La mémoire fantôme

Mais Wong est un artiste, pas un fabricant de films, et c’est aussi en artiste qu’il est revenu vers Ashes Of Time pour en réaliser un nouveau montage, accompagné d’une nouvelle musique où l’on entend le violoncelle émouvant du virtuose Yo Yo Ma. L’histoire, si l’on peut parler d’histoire, est restée intacte, qui prend pour personnage principal un tueur à gages, habitant au milieu de nulle part et ne voyant venir à lui que des « collègues » ou des clients potentiels lui demandant d’assassiner telle ou telle personne. Le héros (joué par Leslie Cheung) cherche l’oubli, qu’un certain vin (dit-on) procure. Outre quelques crimes, c’est aussi et surtout le regret d’un amour impossible pour l’épouse de son propre frère qu’il cherche à chasser de sa mémoire… Autant que de mort, c’est d’amour en effet que parle le film de Wong Kar Wai, de rivalités pouvant mener au désir de tuer mais aussi d’élans de passion suspendue, d’étreintes avec un(e) partenaire tandis qu’on songe à un(e) autre. Et plus généralement d’amours condamnés à ne pas prendre corps.

Il faut attendre une quarantaine de minutes pour qu’un premier combat survienne, suivi par d’autres, tous violents et poétiques à la fois. Des affrontements qui s’inscrivent certes en morceaux de bravoure, mais surtout en éléments de ce que Wong Kar Wai conçoit comme une méditation en mouvement. Le cinéaste de Hong Kong filme comme un peintre, usant de techniques visuelles aux effets de grain et de couleur absolument magnifiques. Par endroit, il bascule dans un esthétisme gratuit, mais le plus souvent, il crée avec son chef opérateur et habituel complice Christopher Doyle une image sublimement travaillée, unifiant visages et paysages dans une texture unique, bouleversante de douloureuse beauté. Un des personnages croisant la route du héros du film est une belle épéiste si douée que, ne trouvant pas d’opposants de même force, elle s’entraîne en combattant son propre reflet dans l’eau. Wong Kar Wai fait un peu de même en se mesurant au cinéaste qu’il était voici une petite vingtaine d’années, redonnant vie à un fantôme de film, aussi profondément mélancolique dans le fond qu’admirable dans la forme.

Louis Danvers

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