CINQ ANS À PEINE DE CARRIÈRE SOLO ET PUIS LA MORT BRUTALE: UN BOX DE QUATRE CD RACONTE LE PARCOURS MAGNÉTIQUE DU PLUS BOULEVERSANT INTERPRÈTE DES SIXTIES.
Otis Redding
DISTRIBUÉ PAR WARNER.
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« The King of Soul »
Peter Gabriel expliquait combien la vision d’Otis Redding sur une scène londonienne en 1967 avait changé non seulement sa perception de la musique, mais celle du rapport à la psyché et l’émotionnel. Plus tard, dans son propre Sledgehammer, la star anglaise rendra clairement hommage à Otis, le mec dont le patronyme d’ascenseur n’est pas un hasard puisque sa voix fait grimper aux étages. Et ce, bien avant qu’un Beechcraft H18 ne se crashe dans les eaux glacées du Wisconsin, une nuit de décembre 1967. Terminant prématurément une histoire commencée 26 ans plus tôt dans une petite ville de Géorgie sur un scénario de biopic ricain: famille pauvre, père prédicateur à temps partiel, militaire et ancien ramasseur de coton, leçons initiatrices de chant à l’église. La première fixette d’Otis, c’est Little Richard -de neuf ans son aîné-, noir, gay et maquillé dans l’Amérique ségrégationniste des fifties. A ses débuts, Otis lui emprunte l’hystérie, faisant ses classes -à cinq dollars la nuit- dans le circuit Chitlin’ du Sud réservé aux musiciens afro-américains. Mais son karma n’est pas de jouer les seconds rôles, son 1m88 et ses 100 kilos athlétiques sont vite les exécutants d’une voix qui impose une absolue vulnérabilité. Comme un pari de testostérone qui égrène l’éducation reçue du côté du gospel -beaucoup- et du blues -un peu- dans une génuflexion viscéralement soul.
Implication de supplicié
La performance physique invraisemblable de Redding dans ce coffret, en particulier dans les titres live, tient d’une alchimie sans doute vaine à définir, mais on peut néanmoins essayer. En originaux ou en reprises diversifiées (Change Gonna Come et Shake de Sam Cooke, Satisfaction des Stones, Day Tripper des Beatles, Rock Me Baby de B.B. King), Otis s’immerge dans la chanson avec l’énergie d’un noyé qui semble avoir tutoyé l’envers du miroir: d’où une tension et une compassion sans réel équivalent chez les soul brothers. Marvin Gaye, Sam Cooke, Al Green -et même James Brown- n’imposent pas le même théâtre maniaque qui consiste à porter à bout de bras chaque chanson comme si elle était vraiment la dernière de l’espèce humaine. Avec une implication de supplicié, enivrée de grandiose ou du simple plaisir de vivre. Otis n’y arrivera pas seul, composant quelques-uns de ses grands moments avec le guitariste (blanc) Steve Cropper (Fa-Fa-Fa-Fa-Fa, Mr. Pitiful, (Sittin’ On) The Dock Of The Bay), en créant d’autres par lui-même (Respect, Can’t Turn You Loose, Love Man),partageant pratiquement chaque instant de ce parcours avec les cuivres sensationnels de Stax. Sans que, pratiquement un demi-siècle plus tard, les palpitations de cette musique inouïe n’aient le moins du monde faibli.
PHILIPPE CORNET
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