Anima de laboratoire

© ALEX LAKE

Avec son troisième album solo, le chanteur de Radiohead rumine une electronica toujours aussi sombre, mais avec une fluidité inédite.

Il n’est jamais aisé pour un chanteur de filer en solo. Surtout quand le groupe auquel l’intéressé fait des « infidélités » est considéré par beaucoup, sinon comme le plus grand, en tout cas comme le plus important de ces 25 dernières années. Comment manoeuvrer? Quelle identité musicale reste-t-il encore à créer quand on a déjà tellement mis de soi dans le projet collectif? Comment s’en éloigner, sans forcer le geste contre-nature? Avec ses deux premiers albums publiés sous son nom, The Eraser (2006) et Tomorrow’s Modern Boxes (2014), Thom Yorke semblait hésiter, cherchant autant à prolonger l’univers de son groupe, qu’à lui résister. Avec Anima, sorti la semaine dernière, il règle la question pour de bon. Et, surprise, c’est dans une certaine « simplicité » qu’il a trouvé la réponse.

Le courage des oiseaux

Il ne faudrait évidemment pas tromper sur la marchandise. On parle bien d’un disque de Thom Yorke. Disque angoissé, Anima reste souvent tétanisé par le chaos ambiant. En cela, l’Anglais est fidèle à une vision et un discours qu’il n’a cessé de développer avec Radiohead. Dès OK Computer, il dessinait ainsi les contours d’un monde globalisé et paranoïaque, où la technologie libère moins qu’elle n’asservit, isole plus qu’elle ne relie. Aujourd’hui, ce qui pouvait tenir de la dystopie ne semble plus trop éloigné de la réalité. C’est sans doute pour cela qu’ Anima dégage, paradoxalement, ce qui ressemble à un certain apaisement: celui qui arrive quand ce qu’on a tellement redouté survient, et qu’il balaie toutes tergiversations.

Anima de laboratoire

Rarement l’electronica bidouillée par Thom Yorke, toujours accompagné du fidèle Nigel Godrich, n’aura ainsi sonné à ce point aboutie, comme coulant de source. À bien des égards, elle reste insulaire et tortueuse. La boîte à outils n’a en effet pas changé: Twist se présente comme une longue plage ambient-techno dépouillée et lunaire, tandis que Last I Heard (…He Was Circling The Drain) sonne presque comme la réinterprétation d’une musique médiévale par Burial, tordant les sons et les beats. Aussi ombrageux soit-il, Anima sublime toutefois son cafard avec une nouvelle fluidité. Un morceau comme I Am a Very Rude Person rumine sa menace avec un flegme aussi élégant qu’inquiétant, tandis que Not the News se présente comme la suite inquiète d’ Idiotheque. Le titre qui fera probablement le plus parler de lui reste cependant Dawn Chorus. Juste avant la moitié du disque, Thom Yorke oublie de chanter et se contente de déclamer sobrement sa poésie déviante, sur des claviers kraut mélancoliques. Poignant, il dit, dans le même mouvement, à la fois toute l’absurdité du monde ( » You don’t know how much/Pronto pronto, moshi mosh« ) que sa beauté réconfortante ( » The wind picked up/Shook up the soot/From the chimney pot/Into spiral patterns/Of you, my love« ). En anglais, l’expression dawn chorus renvoie d’ailleurs au chant matinal des oiseaux, entamé au lever du jour. L’espoir malgré tout..

Thom Yorke

« Anima »

ELECTRONICA Distribué par XL Recordings.

7

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