VÉRITABLE BÊTE DE FESTIVALS, DAMIEN CHAZELLE SIGNE AVEC WHIPLASH UN 2E FILM INTENSE QUI AUTOPSIE LE RÊVE AMÉRICAIN À TRAVERS LE DESTIN D’UN JEUNE BATTEUR DE JAZZ OBSESSIONNEL ET SURDOUÉ.

Grand vainqueur en janvier à Sundance, ovationné en mai à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, le Whiplash de Damien Chazelle a sans surprise conquis Deauville, dont il repart auréolé du Grand Prix et du Prix du Public. Un succès unanime, donc, pour un film qui s’attache justement à en mesurer le prix, à travers le destin d’Andrew (formidable Miles Teller, révélé dans le Rabbit Hole de John Cameron Mitchell), jeune étudiant au Conservatoire de Manhattan qui rêve de devenir l’un des meilleurs batteurs de jazz de sa génération. Ambition poursuivie à force d’entraînement acharné, et pourtant mise à mal par un professeur tyrannique obsédé par l’idée de révéler le nouveau Buddy Rich. Si le clash semble inévitable, l’échec, lui, reste prohibé. Puisque, c’est bien connu, les musiciens ratés finissent dans des groupes de rock… « Le point de départ du film est très personnel, nous expliquait Chazelle à Deauville dans un français impeccable, le père du jeune cinéaste américain, 29 ans à peine, étant originaire de l’Hexagone. J’étais moi-même batteur dans un orchestre de jazz dirigé par un prof assez sadique. Le jazz est par essence un art très libéré, et pourtant, dans cet orchestre, je le vivais dans l’angoisse et les larmes. Pour moi, l’apprentissage de la musique, c’est 99% de travail, de peur et de stress, et 1% de pur plaisir. Idem pour le cinéma. Même si j’essaye au maximum de tendre vers cette magie éphémère. »

Sous ses dehors éculés de Flashdance du jazz, Whiplash a ainsi le bon goût de ne pas être une énième success story comme le cinéma US en raffole tant. A la traditionnelle question « Va-t-il réussir? », le film en substitue en effet une autre, beaucoup plus passionnante: « Qu’est-il prêt à endurer pour réussir? » Et Chazelle de sonder en chemin l’american dream et son envers, pas forcément jojo. « Le concept même de rêve américain se double d’une dimension punitive implacable: aux States, en l’absence de réussite, l’échec semble irrévocable. Les pauvres y sont livrés à eux-mêmes, les ratés aussi. Mais paradoxalement, tout le système éducatif américain repose sur un principe de renforcement positif. Que les enfants fassent n’importe quoi, on leur dira toujours: « Good job! » C’est très étrange, voire schizophrène, un pays qui est à la fois aussi laxiste avec ses enfants et aussi impitoyable avec ses adultes. »

Génie en herbe

Si certaines situations du film semblent un poil forcées, et son final objectivement peu crédible, Chazelle n’y observe pas moins sans complaisance ni fascination béate les doutes et la souffrance de son prodige en quête d’extase, s’appliquant à filmer les nombreuses joutes musicales comme de véritables scènes d’action, et interrogeant par la bande la nature même du talent. « Il y a toujours eu du jazz à la maison. Mon père était littéralement obsédé par Charlie Parker, et il me racontait toujours cette fameuse anecdote qui veut qu’un jour, lors d’une impro, Jo Jones aurait jeté sa cymbale à un tout jeune Charlie Parker pour lui faire comprendre qu’il était temps pour lui de dégager de la scène. Ado, Parker jouait en fait régulièrement du saxophone dans les clubs de Kansas City, mais personne n’aurait parié à l’époque sur le fait qu’il allait devenir un grand musicien. Quelque chose s’est passé entre son 18e et son 19e anniversaire: il a volontairement disparu des radars un certain temps, et à son retour à Kansas City, soudainement, tout le monde s’est mis à parler de lui comme d’un virtuose tombé du ciel. On ne sait pas exactement ce qui s’est passé, et c’est ça qui me fascine: est-ce qu’on naît musicien de génie ou est-ce qu’on le devient? C’est une histoire fondatrice de la mythologie du jazz. »

N.C.

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