AVEC BALADA TRISTE DE TROMPETA, ALEX DE LA IGLESIA PLONGE DANS LES ANNÉES NOIRES DU FRANQUISME POUR SIGNER UNE FARCE GROTESQUE, EN GUISE DE MIROIR DE TEMPS INCERTAINS…

« Au départ de cette histoire, il y avait juste une image: un clown armé d’un revolver. C’est une idée empruntée à Bunuel, qui a toujours dit que l’acte le plus surréaliste consisterait à tirer dans la rue, absurdement. C’est une image forte, et de mon point de vue, elle était associée à un clown… » Installé sur la terrasse d’un hôtel vénitien, Alex de la Iglesia tente de démêler les fils qui sous-tendent Balada triste de trompeta ( critique page 31), son dernier film, qui remonte aux heures sombres du franquisme, et oppose 2 clowns, amoureux de la même femme, en un croisement saisissant entre l’histoire politique de son pays, et le cinéma de Tod Browning.

Découvert il y a une vingtaine d’années avec Accion mutante, le réalisateur espagnol a, depuis, construit une £uvre où cohabitent joyeusement horreur, polar, outrance et humour noir -voir, par exemple, l’impeccable El Dia de la Bestia, ou encore le jubilatoire Crimen ferpecto. Si l’expérience internationale de The Oxford Murders n’avait été que moyennement concluante, Balada triste le voit renouer avec la flamboyance barrée de son cinéma. Situé pour l’essentiel en 1973, le film convoque les souvenirs -diffus- du cinéaste d’une période trouble pour le moins, correspondant aux derniers feux de la dictature franquiste. « J’avais 8 ans à l’époque, et ces années m’apparaissent comme un cauchemar. Avec la distance, on se demande si tout cela s’est bien produit, les actes terroristes, toute cette violence, mais c’était le quotidien, au point que l’on n’en était même plus étonné. Je suis convaincu que mon caractère s’est forgé, pour bonne partie, durant ces années-là. » Deux ans plus tard, la mort de Franco changerait radicalement la perspective, sans pour autant que des événements tragiques ne cessent de hanter la mémoire collective -d’où, s’agissant de Iglesia, la nécessité de rouvrir l’album d’une période noire: « On ne peut continuer à vivre sans en parler, c’est plus nécessaire que jamais. Ces questions nous préoccupent, même de façon inconsciente. Alors qu’aujourd’hui, la situation politique et sociale divise les gens, il est important d’en finir et de cesser de ruminer constamment le passé pour nous tourner vers le futur. « 

Sur les pas de Lon Chaney

De son propre aveu, le réalisateur signe là son film le plus politique – « c’est une forme de thérapie, opine-t-il. Mais peut-être que si l’on montre ces choses à travers un miroir grotesque, on sera en mesure de les voir de manière plus claire.  » On est chez Alex de la Iglesia, en effet, avec son style à nul autre pareil, pour un film qui ose l’imagerie bouffonne, à travers l’affrontement de 2 clowns. « J’ai recouru à des clowns, parce qu’ils m’effrayent, et en raison de leur puissance symbolique. Je ne suis pas Fellini, je n’aime pas les clowns, le fait qu’ils soient déguisés m’apparaît comme quelque chose de fort étrange. Si j’ai choisi de revenir à cette période à travers eux, c’est parce qu’ils sont la parfaite représentation d’un cauchemar à mes yeux…  » A quoi il ajoute encore: « Mon pays a quelque chose d’un cirque, et je me fais moi-même l’effet d’un clown triste. « 

Accessoirement, l’univers du cirque aura aussi permis au réalisateur de rendre hommage à l’un de ses films de chevet, The Unknown de Tod Browning, monument du cinéma muet à la trame sentimentale voisine, transcendé par un inoubliable Lon Chaney, dans le rôle de l’homme sans bras, au destin aussi tragique que grotesque. Chassez le naturel, et il revient au galop, en quelque sorte, celui qui ramène toujours Iglesia vers le cinéma d’horreur aussi: « Je ne sais pas d’où vient cette fascination, mais la première chose que je me rappelle avoir achetée, c’était un magazine qui s’appelait Famous Monsters of the Cinema. Il y avait une photo de Frankenstein , et je me souviens que du moment où j’ai découvert cette photo, il m’a fallu voir le film, c’était une nécessité. Après, j’ai continué à regarder ces films à la télévision, et puis en vidéo. Au tout début, j’achetais des films super 8, que je projetais chez moi. J’ai trouvé une version française de The Unknown en super 8, c’était impossible à dénicher en vidéo. Je l’ai repéré dans le catalogue d’une curieuse compagnie religieuse de films en super 8, San Pablo Films, et je me souviens m’être dit: Waouw, un film de Lon Chaney…  » Petite cause, grands effets.

RENCONTREJEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À VENISE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content