Il y a quelques années, les trendsetteurs – ceux qui font la pluie et le beau temps au pays du bon goût – nous promettaient le bonheur dans le « mass-tige ». Contraction de « masse » et de « prestige », ce néologisme désignait, pour faire court, la démocratisation tous azimuts du luxe. Ses armes favorites? Les séries très limitées de produits standards (type collection H&M étiquettée Lagerfeld) et les séries illimitées d’accessoires griffés – sacs, porte-monnaie et autre menu fretin… L’ensemble de l’éventail garantissant – sur facture – une sorte d’ADN social unique que le vulgum pecus ne pouvait que convoiter derrière ses fausses lunettes Gucci. Aujourd’hui, une accumulation de nuages conduisent les prévisionnistes à cher-cher le soleil ailleurs. En l’occurrence dans la customization. Pas celle des Rony en training-casquette qui se réunissent le dimanche sur les parkings de province pour exhiber sans pudeur les cuisses et les entrailles de leurs belles mécaniques. Encore que, l’esprit est le même: personnaliser à l’extrême son environnement. La parole change de camp. Trois exemples récents: le succès de l’auto-édition, du fait de particuliers ou d’éditeurs en ligne, qui dépasse désormais aux Etats-Unis l’impression classique. Ou l’initiative de ce chocolatier américain qui invite ses consommateurs à lui suggérer de nouvelles recettes qu’il met aussitôt en production. Ou encore, plus près de nous, la proposition indécente du site des Inrocks, qui appelle ses lecteurs à prendre le pouvoir en lui soufflant des sujets d’articles. Il a fallu deux révolutions pour en arriver là: une révolution technologique, qui a permis de connecter deux mondes emprisonnés dans un rapport de force déséquilibré, celui des décideurs et celui des consommateurs; et une révolution des mentalités, héritage tardif de 68, qui laisse à penser qu’en chacun de nous sommeille un esprit créatif – chez certains, on doute cependant qu’il se réveille un jour… On peut se féliciter de ce tournant. Se dire que des génies ne resteront plus tapis dans l’ombre. Le « miracle » MySpace carbure d’ailleurs à la même eau bénite du tout participatif. On peut aussi s’interroger sur ses conséquences pour notre santé mentale. L’industrie – culturelle mais pas seulement – n’est-elle pas en train de se mordre la queue? En donnant le pouvoir absolu aux profanes, on flatte certes les egos mais on court aussi au devant de catastrophes esthétiques majeures.

Par Laurent Raphaël

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