ELLE CRÈVE L’ÉCRAN DANS LES COMBATTANTS. ADÈLE HAENEL ALLIE CARACTÈRE ET TALENT. ELLE A TOUT D’UNE FUTURE GRANDE!

Son personnage de fille sportive et musclée, se préparant mentalement et physiquement à la survie, est l’un des plus fascinants du cinéma récent. Adèle Haenel confirme dans Les Combattants toutes les promesses affichées dans Naissance des pieuvres, L’Apollonide-Souvenirs de la maison close et Suzanne, qui lui a valu le César du Meilleur second rôle en février dernier. A 25 ans, la Parisienne aux yeux (revol)verts s’affiche comme une actrice sans crainte et au registre spectaculairement étendu. « Mes envies me poussent vers des choses que je n’ai pas encore faites, affirme d’emblée Haenel. Et la justesse du jeu ne m’intéresse pas si elle n’est pas au service de l’invention. Je ne suis pas du genre à chuchoter, j’aime prendre des risques. Quitte à jouer, autant s’amuser, même et surtout sur le fil, en sachant qu’on pourrait se planter. J’aime ce qui est à la fois fragile et surprenant. »

« Se lancer« , « ne pas avoir peur« , sont des expressions fréquentes dans le discours d’Adèle. Laquelle n’entend pas occuper une « case » limitant ses possibilités d’évolution. « Au cinéma, c’est comme si nous n’avions rien à nous, poursuit la jeune comédienne. Notre talent est totalement soumis au réalisateur, qui nous choisit, qui nous dit si on est juste ou pas. Je ne veux pas me contenter de cela, je revendique le droit de me tromper, ce n’est pas grave pour autant qu’il y ait des choses qui m’appartiennent en propre. » Si Thomas Cailley, le réalisateur des Combattants (lire son interview page 14) peut dire qu’Adèle ressemble au personnage de Madeleine, c’est parce que l’actrice y a utilisé un peu de sa « propre façon d’être dans la vie« : « Il y a des trucs que j’ai pu faire, mais poussés plus loin pour le film. Peut-on séparer totalement sa nature et la composition d’un personnage? Un bon comédien, pour moi, ce n’est pas quelqu’un qui peut tout faire de toutes les manières, mais quelqu’un qui peut tout faire… à sa manière à lui! »

La formule est percutante, comme le débit d’une Haenel lâchant ses phrases par jets directs s’interrompant de courts silences, de petites pauses où le regard semble s’interroger avant que d’autres mots s’échappent en une nouvelle rafale. Elle compare les différents rôles tenus par un acteur à « une arborescence, née de la même matrice. » Si elle est devenue comédienne de cinéma, c’est au départ de circonstances un peu spéciales. « J’avais douze ans, je faisais du théâtre dans une maison de quartier. Mon frère a été repéré dans la rue, et convié à un casting où je l’ai accompagné. C’est moi qu’on a prise. Et à treize ans, j’ai tourné mon premier film (Les Diables de Christophe Ruggia, ndlr). Un bouleversement, dont il a été un peu difficile de me remettre. Quand j’ai eu l’occasion d’en tourner un deuxième, à 17 ans (Naissance des pieuvres de Céline Sciamma, ndlr), ça s’était un peu calmé. Je me suis dit alors que tout en continuant mes études, le risque valait d’être couru. C’était ça que je voulais faire, je l’avais décidé. On n’a pas dû venir me chercher une troisième fois (rire)! »

Prise de parole

« Quand on fait du cinéma, on prend la parole, et on va au bout. Au bout des mots et au bout du geste. Faut y aller, sans trop réfléchir. Si on commence à analyser ce qu’on fait, on perd cette clarté, et on ne propose plus rien de fort, de neuf. Moi je me lève, je prends la parole. Je ne vais pas non plus m’excuser de le faire! J’ai souvent tort, en fait. Mais c’est moi… » C’est elle, en effet, avec sa fougue et son radicalisme qui font merveille dans Les Combattants. Son engagement physique, athlétique même, ont aussi leur importance. Dans le film de Thomas Cailley, on la voit courir, sauter, se battre. Et nager (superbement), comme elle le faisait aussi, et entre autres, dans Naissance des pieuvres et L’homme qu’on aimait trop de Téchiné. « Le jeu suppose pour moi de ne pas se cacher, explique Adèle, et cela passe évidemment par le corps. Dans les émotions, il y a toujours ambivalence, ambiguïté: je vais vous dire ça, alors que je pense peut-être autre chose. Le corps, lui, il est là. Il est manifeste, il dit ce qui est, et du coup, il n’y a plus d’ambiguïté. Le corps est un lieu d’engagement, fort et clair. C’est aussi l’endroit de l’intime, car s’y exprime l’énergie. Et l’énergie est la chose la plus intime, car c’est la chose qu’on maîtrise le moins. On peut construire des émotions, des situations. Mais l’énergie, elle nous échappe. Elle dit ce que nous sommes, point. »

Haenel se trouve bien dans le « lâcher-prise« . Assez loin par exemple d’une Isabelle Huppert qu’elle admire énormément mais « dont la virtuosité vient de son intelligence« . « Moi, si je me fiais à mon intelligence plutôt qu’à mes émotions, je serais très vite dépassée, poursuit la jeune actrice. Je perçois d’abord les choses avec mes sentiments. Je sais qu’un film peut être bien après avoir lu le scénario, je le sais parce que simplement je le sens. La tête, elle peut penser, bien sûr. Mais chez moi ces pensées s’effacent devant l’évidence des sentiments. » Une fois le choix de faire le film posé, la méthode de travail exclura pratiquement, elle aussi, l’appel à la réflexion. « Si on pense à tout, comment faire pour qu’arrive l’accident? Cet accident qui m’intéresse plus que tout, aujourd’hui en tout cas… Peut-être, pour faire carrière, me faudrait-il changer mon rapport au jeu… Quand je parle d’accident, je veux bien sûr parler de ce qui arrive d’imprévisible quand on est dans la scène, à l’écoute du ou des partenaires. L’accident, c’est la vérité qui naît sur le moment, de cette combinaison d’éléments qui n’est jamais la même, et qu’on ne saurait vouloir maîtriser d’avance sans la perdre aussitôt. »

RENCONTRE Louis Danvers

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