Album solo brillant, tournée triomphale… Peter Doherty revit et restera l’une des grandes figures de l’année. Il s’épanche en exclusivité dans Focus.

Ca faisait déjà un bout de temps, des mois, des années, qu’on traquait Peter Doherty. Qu’on harcelait sa maison de disques à chacun de ses concerts pour s’entretenir avec l’un des songwriters les plus doués de sa génération. L’une des dernières rock stars. Peut-être même la seule à avoir vu le jour depuis Kurt Cobain et les frères Gallagher.

A la sortie du premier album des Babyshambles, son label indé (Rough Trade) n’avait pas pris le risque de nous envoyer à Londres. Trop cher. Trop aléatoire étant donné le comportement imprévisible et les dépendances narcotiques du « lad ». Mardi 4 août. Il est 1 h 30 du matin à Lokeren, où l’Anglais vient de livrer un concert exceptionnel seul avec sa guitare acoustique, quand une représentante d’EMI nous apostrophe au bar.  » Je viens de l’apprendre. C’est le moment. Il est disposé à donner des interviews.  »

On n’a pas d’enregistreur. On n’a pas non plus préparé de questions. En attendant, l’occasion n’est pas près de se représenter. Le journaliste flamand qui doit partager avec nous ces 20 petites minutes d’entretien tarde à arriver. On aura droit à un tête-à-tête sous le regard bienveillant mais pas intrusif de son manager installé dans un coin de la pièce.

Maillot de foot aux couleurs des Queens Park Rangers sur le dos, bouteille de pinard à portée de main… Peter se montre avenant, souriant et loquace. Pas vautré dans un fauteuil, défoncé, comme si parler l’ennuyait. Non. Plutôt sain, assis sur le bord de son siège pour se rapprocher et s’expliquer.

Pourquoi vous faites-vous désormais appeler Peter et non plus Pete?

Parce que c’est mon nom. Ce qui est écrit sur mon passeport. On peut passer son temps à se déguiser mais ce nouvel album ( Grace/Wasteland), c’est vraiment moi. Mes souvenirs. Les bons et les mauvais. L’adolescence et la prison. Je me mets littéralement à nu. Ce disque m’a permis d’écouler des chansons en attente. Il prouve aussi que les bons morceaux n’ont pas besoin de faire du bruit.

Quand on achetait un ticket pour un concert des Babyshambles, on ne savait jamais si on y aurait droit ou s’il finirait par être annulé. Désormais, vous assurez toutes vos dates. Que vous est-il arrivé?

On change tous en vieillissant. Il m’a fallu des cures de désintoxication, des séjours derrière les barreaux mais j’ai fini par comprendre. J’ai entamé une nouvelle période de mon existence. Arriver à l’heure, répondre aux questions (1)… Tout ça reste récent pour moi. Une nouvelle manière de faire. J’accorde peu d’entretiens. Ce que je dis est souvent mal compris voire détourné. C’est un boulot à plein temps d’être une star. Mais c’en est un aussi d’écrire, de composer. Et c’est celui que je préfère. Je ne sais même pas quelle est ma situation actuelle en termes de label. Je laisse ce boulot à mon manager. Moi, je dois avoir quelque chose en quoi croire. Il n’y a que quand j’écris une chanson que je suis heureux.

Sur scène, vous reprenez les Specials et Neil Young. Que représentent ces artistes pour vous?

J’ai du mal à l’expliquer. Quand j’ai découvert les Specials, leurs albums existaient depuis 20 ans mais ça m’importait peu. Ils me donnaient envie de jouer, d’écrire des chansons. Ils prenaient d’autant plus de signification que je percevais beaucoup de racisme autour de moi. Pas seulement des blancs envers les noirs. Mais aussi des noirs envers les jaunes. Et des jaunes envers… Je ne sais pas moi. Les enseignants. Les Specials brassaient les cultures sans £illères. Quant à Neil Young, lorsqu’à la maison je me sens triste, je mets Harvest à plein volume. C’est le rythme parfait. Si brut. Tu n’as plus besoin de prendre d’héroïne, Neil te la donne. J’ai peur d’écouter After The Gold Rush ou les disques de Crosby, Stills, Nash and Young et d’être déçu. Ça arrive parfois. J’ai été voir les Sex Pistols, par exemple. On m’avait dit que ce serait dangereux. Je me suis retrouvé au milieu de gens à moitié fades et dans un état second.

Vous travaillez actuellement sur le troisième album des Babyshambles. Où en êtes-vous?

On a un disque pratiquement prêt. Je dois juste en écrire les paroles. Ça ne va pas être évident. C’est facile de coucher un texte sur du papier mais mettre des mots sur de la musique, c’est autre chose. Tu veux toujours impressionner les gens. Je ne parle pas du public mais de ceux qui te fournissent des chansons. Je pourrais me dire que j’ai de toute façon bon goût parce que j’aime les Smiths et les Specials. Mais je ne fonctionne pas comme ça.

La reformation des Libertines semble envisageable?

J’ai revu John (Hassall, le bassiste) récemment. Il est bouddhiste. Il va bientôt avoir un bébé. On en a parlé. Je pense que tout est possible. Nous sommes jeunes. Nous avons des rêves. Nous voulons faire plaisir aux gens. Peut-être en 2010. A chaque fois que j’en touche deux mots à Carl (Barat, comme lui guitariste et chanteur), il me dit l’an prochain. Vous savez, avec les Libertines, on a pendant un temps été payés pour chanter la musique des autres dans les fêtes d’école et les Bar Mitzvah. Nous avions déjà des rêves mais le monde ne voulait pas les entendre et encore moins les écouter. Même nos parents ne nous prenaient pas au sérieux. J’ai vu des tas de petits Anglais qui créaient des groupes et n’allaient nulle part. Il nous est arrivé de jouer devant un mec et son chien… Nous avons dû lutter. Nous avons tout fait pour être signés, devenir célèbres et gagner de l’argent.

Comment subveniez-vous à vos besoins auparavant? Vous avez notamment travaillé dans un cimetière?

Et au début des années 2000, je servais des bières dans un bar. C’était pas la grande vie. Alors, pour me faire un peu d’argent de poche, je dealais des drogues que je pouvais trouver à relativement bon marché. Je les planquais dans mon chapeau qui changeait de couleur en fonction des produits que j’avais à fourguer. Lors de leur première tournée, les Strokes ont rencontré un des mes amis. Il leur a dit que je pouvais leur trouver un petit quelque chose. Je leur ai vendu de la weed, de la coke, de l’acid. C’était juste quelques Américains qui voulaient prendre du bon temps à Londres. Ils m’avaient donné des tickets pour leur concert.

Comment devient-on supporter des Queens Park Rangers?

Ma famille vient du coin. J’avais le choix. D’un côté Liverpool, avec tous ses trophées. Le plus grand club du monde. C’était il y a longtemps. J’avais 5 ans. Et de l’autre, une équipe modeste qui n’avait pas de palmarès et venait de perdre la finale de la Cup. Des couleurs toutefois auxquelles mon père était attaché. Ma mère avait un petit penchant pour Anfield mais c’était pas pareil. Dans ce genre de situation, on suit papa. J’ai donc décidé de soutenir QPR. Beaucoup de mecs autour de moi en sont fans. Mick Jones du Clash par exemple. Gamin, j’ai même créé un fanzine sur le club. Il s’appelait All Quiet On Western Avenue. Ça va peut-être vous étonner mais j’aimais vraiment le sport. Je jouais au foot sans arrêt. Puis, je courais. Plutôt vite d’ailleurs. Au stade, je passais autant de temps à regarder le public que le terrain. Même à Stanford Bridge, et je déteste Chelsea, c’est hallucinant. En même temps, je suis effrayé quand je vais voir un match de foot. Même en division 4, c’est devenu dangereux. Je ne sais pas si c’est le hooliganisme qui tue les gens ou le fait qu’on les ai confinés dans des cages.

(1) Doherty a passé des interviews entières avec des journalistes de presse écrite à interpréter des chansons (du seul et unique album des La’s par exemple) plutôt qu’à discuter…

Rencontre Julien Broquet

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