Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

AUX ANTIPODES D’UN ART TAPAGEUR GONFLÉ À L’EGO, ON TROUVE LES HUILES SUR BOIS D’E.D.M., PEINTRE ASCÉTIQUE DONT LES MONTAGNES ESCARPÉES OPÈRENT À LA LIMITE DU VISIBLE.

A Few Mountains

E.D.M., JOZSA GALLERY, 24 RUE SAINT-GEORGES, À 1050 BRUXELLES. JUSQU’AU 01/07.

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Dès les premiers pas dans la galerie de Catherine Jozsa, on sent l’événement, ce quelque chose de rare qui se produit parfois et donne l’impression que l’existence possède un sens. Pourtant, la configuration est minimaliste. La fenêtre de la pièce à front de rue est voilée. Elle ne laisse passer que ce genre de lumière dont on gratifie habituellement les malades, manière de les épargner. Ce « petit crépuscule » emplit l’espace d’une étrange atmosphère. C’est celle qu’a voulu E.D.M., peintre rare et précieux dont c’est la seconde exposition en cinq ans. Il n’en a pas toujours été ainsi. Au sortir de ses études, celui qui préfère désormais se cacher derrière des initiales a connu le succès rapide. Immédiatement repéré par une galerie, il s’est perdu à produire et surtout à se produire au sein de cette pièce de théâtre que peut devenir le marché de l’art. Après une traversée du désert, le plasticien s’est repensé de fond en comble: nouvelle technique -l’huile sur bois-, nouveau nom -initiales E.D.M.- et nouveau rythme -il ne sollicite jamais, attendant que l’on vienne le chercher pour exposer. Le présent accrochage raconte tout cela. Accrochage? Le terme est à bannir dans le cas présent, E.D.M. fixe les règles du jeu. L’une d’entre elles consiste à refuser que ces tableaux soient accrochés, c’est-à-dire pendus dans le sens le plus asphyxiant du terme. En lieu et place, un long rail blanc traverse la pièce sur lequel ses compositions sont posées s’affichant en version 30 centimètres sur 40 pour les plus grandes.

Amplitudes

La lumière et le support ne constituent pas les seules dispositions adoptées par E.D.M. pour permettre de regarder son travail comme il se doit. Il a également pris soin de peindre un grand rectangle gris sur deux des murs de la galerie afin d’atténuer les contrastes. La précaution est loin d’être inutile tant il s’agit ici d’un travail délicat aux nuances subtiles. E.D.M. enduit ses « toiles » par glacis successifs. Un travail lent et minutieux centré sur un sujet unique: le paysage, tout particulièrement la montagne. On est frappé par le rapport inversement proportionnel entre l’économie de moyens à l’oeuvre -petits formats, palette chromatique réduite à des variations sur le noir et le blanc- et l’impressionnante puissance spatiale qui se dégage. Les amplitudes bluffent, elles permettent à l’oeil de s’enfoncer insensiblement dans la profondeur du tableau perçu comme espace autonome. C’est d’autant plus vrai que les compositions relèvent du sable mouvant visuel dans la mesure où l’on sent confusément que davantage que d’un pan de nature il est question d’un arrière-pays mental. Un élément supplémentaire confère au travail d’E.D.M. son caractère sacré. Il se trouve au dos des oeuvres et prend la forme de dates imprimées au cachet. Le procédé permet à l’artiste de respecter les temps de séchage nécessaires à la technique qu’il utilise. Tant qu’une oeuvre n’est pas vendue, elle est considérée comme inachevée, donc susceptible d’une nouvelle couche et de ce fait non signée. Certaines d’entre elles affichent des cycles qui s’étendent sur plus de dix ans. En cela, E.D.M. se calque sur le bras du temps qui utilise la sédimentation comme mécanisme essentiel du rendre visible.

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MICHEL VERLINDEN

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