DÉLICIEUSE FANTAISIE NEW-YORKAISE, MAGGIE’S PLANS’INSCRIT ÉGALEMENT DANS LA TRADITION DE LA COMÉDIE DU REMARIAGE

L’on n’attendait guère Rebecca Miller, la réalisatrice de The Ballad of Jack and Rose et de The Private Lives of Pippa Lee,sur le terrain de la comédie. Un pas qu’elle franchit pourtant allègrement aujourd’hui avec Maggie’s Plan, fantaisie de haut vol où rayonnent Greta Gerwig, Julianne Moore et Ethan Hawke, qui y composent un triangle aussi savoureux que fluctuant. Un film où elle revisite avec bonheur le modèle de la « screwball comedy » telle qu’elle fleurissait dans les années 30, dont elle renoue avec la teneur loufoque, la vivacité des dialogues et le rythme, en un héritage totalement assumé. « J’essaie d’écrire mes scénarios comme des partitions musicales, observe la cinéaste. L’écriture de Maggie’s Plan a donc beaucoup tourné autour du rythme. Il fallait trouver un rythme qui fonctionne à l’oreille, tout en veillant à ce que les acteurs puissent s’exprimer avec naturel. Nous avons travaillé méticuleusement chaque rôle avec les différents comédiens afin de nous assurer qu’il n’y avait pas de réplique qui accroche ou sonne faux. Il en est sorti cette sorte de musique, qui a beaucoup contribué au rythme, à quoi s’est ajouté un travail de recalibrage au montage. De tous mes films, celui-ci est le plus dialogué, une bonne partie de l’humour y passe par les mots. Je voulais recapturer la décontraction et la rapidité des films des années 30, ceux de Howard Hawks par exemple, où les personnages sont intelligents, et c’est OK, le public va les suivre, et croire en ce qui va se produire. »

Se séparer pour mieux se retrouver

Avec ce film, Rebecca Miller s’inscrit plus particulièrement dans un sous-genre qui devait fleurir dans le cinéma hollywoodien des années 30 et 40, et que le philosophe américain Stanley Cavell a baptisé la « comédie du remariage », lui consacrant d’ailleurs un ouvrage de référence, le bien-nommé A la recherche du bonheur. Une appellation dont il rappelait, dans La Protestation des larmes (étude consacrée à son pendant, le mélodrame de la femme inconnue), le ressort narratif en ces termes: « Les comédies du remariage commencent ou culminent avec la menace de la fin d’un mariage, la menace d’un divorce. L’intrigue consiste à unir le couple originel une nouvelle fois, alors que dans les comédies classiques, le jeune couple devant braver les obstacles souhaite s’unir pour la première fois, dans le cadre d’un mariage (…). »

Un principe ayant généré une lignée de chefs-d’oeuvre, au rang desquels on pointera It Happened One Night (New York-Miami) de Frank Capra, The Awful Truth (Cette sacrée vérité) de Leo McCarey, The Lady Eve (Un coeur pris au piège) de Preston Sturges, That Uncertain Feeling (Illusions perdues) d’Ernst Lubitsch, et beaucoup d’autres, Rebecca Miller citant pour sa part deux fleurons du genre, l’irrésistible The Philadelphia Story (Indiscrétions) de George Cukor, et His Girl Friday (La Dame du vendredi) de Howard Hawks, et le mémorable ballet verbal qu’y orchestrent Cary Grant et Rosalind Russell… Coïncidence curieuse, la réalisatrice n’est pas la seule à s’être replongée récemment dans ces classiques de la comédie hollywoodienne, Noah Baumbach convoquant peu ou prou les mêmes références pour While We’re Young, afin de livrer lui aussi sa version de ces histoires où l’on se sépare pour mieux se retrouver…

L’allure new-yorkaise

L’autre tradition dans laquelle s’inscrit Rebecca Miller, c’est bien sûr celle de la comédie (sentimentale) new-yorkaise, modèle éprouvé du New York -Miami de Capra au Breakfast at Tiffany’s de Blake Edwards, et ayant fait l’objet d’innombrables variations, de How to Marry a Millionnaire de Jean Negulesco, à When Harry Met Sally de Rob Reiner. Un choix naturel pour cette New-Yorkaise de la troisième génération -fille d’Arthur, et par ailleurs, épouse à la ville de Daniel Day-Lewis. « Je voulais faire un film situé à New York. Daniel et moi avons vécu un moment en Irlande, nous y retournerons certainement, mais quand je suis revenue à New York, je m’y suis sentie fort heureuse, comme si j’en étais tombée amoureuse à nouveau. Ce film est une lettre d’amour à New York: on aurait pu rendre la ville hideuse, mais j’ai veillé au contraire à ce qu’elle apparaisse resplendissante. Maggie’s Plan imbrique plusieurs histoires d’amour, dont l’une implique la ville. »

Au point, estime-t-elle, que le film n’aurait pu se dérouler ailleurs: « C’est une représentation de la vie à New York. Il s’agissait de penser vite, parler vite et marcher vite, d’adopter un pas où l’on ait l’impression d’avancer. Il y a une allure spécifiquement new-yorkaise: nous marchons plus vite que tout le monde, sauf peut-être les Parisiens… » Nul ne la contredira, et certainement pas Woody Allen, à qui son film fait régulièrement penser, et qui a donné à Big Apple sa comédie romantique définitive, et celle qui a les faveurs de Rebecca Miller, Annie Hall: « J’adore ce film. Je devais avoir quinze ans quand je l’ai vu la première fois, et je me suis totalement identifiée à Annie à l’époque. Je n’éprouve plus ce sentiment aujourd’hui, ce n’est pas mon histoire, mais Annie Hall est tellement finement exécuté... » Quelque chose comme l’éternel féminin new-yorkais, la-di-da, la-di-da, la la…

TEXTE Jean-François Pluijgers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content